Génophage et Krogans – Survivre à tout prix Abyss 19/03/2021

Génophage et Krogans – Survivre à tout prix

Après nous avoir surpris en 2012 et 2013 par la qualité de ses dossiers approfondissant et analysant l’univers Mass Effect, Abyss nous fait l’honneur de son retour sur MEU avec un nouveau dossier de la catégorie « Codex – Extended Cut« . Après des analyses consacrées à l’Alliance, Cerberus, les Moissonneurs ou encore les Prothéens, aborder à présent le sujet du Génophage était une évidence pour Abyss. Un grand merci une nouvelle fois à Abyss pour ce beau cadeau ! Un sujet très symbolique de la puissance scénaristique de la trilogie Shepard, prochainement remasterisée avec Mass Effect Legendary Edition. Prenez votre temps et profitez de cette analyse approfondie de « Génophage et Krogans : survivre à tout prix ». Simon N7 (créateur du site)

Introduction

De tous les conflits à résoudre dans la trilogie, la cure du Génophage est le plus difficile à appréhender pour le fan de Mass Effect. Il est invité à prendre des décisions pour lesquelles la frontière entre bien et mal est relativement ténue et dépend, en très grande partie des choix préalables au cours de la trilogie.

Ces ramifications ont pour conséquence de noyer le joueur dans une multitudes de scénarii possibles et se veulent les reflets de querelles lourdes de plus de 4000 ans d’histoire. Comparativement à la guerre Geths/Quariens qui ne s’étale que sur 300 ans et ne concerne finalement que deux races aliens, le problème krogan se veut bien plus dense historiquement parlant, bien plus lourd émotionnellement et met en relation de nombreuses races.

Dans ce dossier, nous allons premièrement aborder le peuple krogan et son histoire de manière linéaire. En effet, les informations à ce sujet sont très nombreuses et dispersées dans les dialogues, dans les descriptifs planétaires ainsi que dans le Codex ce qui ne facilite pas la compréhension parfaite des enjeux. Pourtant, nous verrons que les Krogans ont bel et bien bouleversé la galaxie, bien malgré eux, et qu’une parfaite maitrise de leur histoire est un atout majeur afin d’analyser plus en profondeur cette partie du récit de Mass Effect.

Nous entamerons donc un retour dans le temps dans le but de retracer les prémices du peuple krogan et toute sa richesse culturelle, la Guerre Rachni, la Rébellion krogane et puis l’élaboration, la diffusion du génophage ainsi que ses conséquences. Un point sera également abordé concernant la création de la nouvelle version de cette arme biologique par le Professeur Solus et l’ascension fulgurante de Urdnot Wrex et Bakara au rang de Chefs Suprêmes des Krogans.

Finalement, fort de toutes les données factuelles récoltées ; nous analyserons l’arc narratif du génophage et ses thématiques sur l’ensemble de la trilogie Mass Effect afin de découvrir pourquoi cette histoire nous touche autant.

« L’évolution n’est pas une simple éclosion sans peine et sans lutte, comme celle de la vie organique, mais le travail dur et forcé sur soi-même » Friedrich Hegel


Partie I – L’Histoire des Krogans

Les enfants de Tuchanka

Si Kalros est la mère de tous les Dévoreurs, nul doute que Tuchanka est la mère de tous les Krogans.

Cette planète, extrêmement hostile, a façonné les Krogans depuis des millions d’années en les obligeant à évoluer sans cesse pour se défendre et survivre. La faune et la flore y sont particulièrement agressives, les ressources rares et les maladies nombreuses. Mais, de toutes les espèces natives du système Aralakh , les Krogans tirèrent leur épingle du jeu en poussant à son paroxysme la fameuse « Loi du plus fort ».

Leur corps tout entier est un véritable bastion sculpté pour la survie. Hauts, de plus de 2,3 mètres et forts de leur 550 kilos de moyenne (équipement compris), ils sont les aliens les plus puissants (en termes de force brute) que compte la Voie Lactée. Leur corps est muni d’un double système de transmission nerveuse sous forme liquide, ce qui les rend invulnérables à la paralysie puisque les fibres nerveuses ne peuvent être sectionnées. Le liquide peut, en cas de perte, être remplacé. Leur excroissance sur le dos leur permet de stocker d’importantes réserves de graisses et d’eau en cas de période difficile et est synonyme de réussite sociale. Plus la bosse est grosse et plus le Krogan en question est fort puisqu’il mange mieux que les autres. De plus, leur redoutable régénération cellulaire les rend quasiment indestructibles. Leur épiderme est particulièrement résistant à l’abrasion, ce qui rend presque impossible une attaque au corps à corps avec une Omnilame. Ils peuvent également vivre plusieurs centaines d’années et se reproduire à très grande vitesse. Enfin, leurs yeux, écartés à l’extrême afin d’améliorer leur champs de vision, sont les derniers témoins d’une époque où les Krogans étaient tout autant des proies que des prédateurs.

En dehors de leur force légendaire, la biotique est rare chez les Krogans. Les quelques individus la maitrisant occupent des postes importants car ils suscitent la peur dans la société, ce qui est plutôt bien pour un Krogan.

De manière générale, leur mode de vie les a rendu particulièrement égoïstes et la force brute fait office de Loi au sein des Clans. Tuchanka est en effet divisée en plusieurs républiques aux mains de tel ou tel clan (comme la république de Ghurst, par exemple) et aucun gouvernement centralisé n’a vraiment vu le jour étant donné le caractère « particulier » des Krogans. Les Clans les plus connus de l’époque sont les Clans Raik et Jorgal.

Malgré tout, les Krogans ne sont pas uniquement les brutes épaisses décrites dans le codex galactique. Les anciennes constructions aperçues lors des voyages en blindés sur le sol de Tuchanka évoquent toute la gloire passée de ce peuple capable de construire d’énormes bâtiments antisismiques afin de résister aux mouvements de Kalros, sous le sol de la planète.

Leur culture est riche de nombreux rites dont la tradition est maintenue par le Shaman du clan. Le Shaman est immensément respecté dans la société car sa profession nécessite de traverser les Rites les plus douloureux. Il peut être un mâle ou une femelle. Il est donc le gardien des us et coutumes tels que le Rite de la Vie, à la naissance, le Rite d’Honneur, pour l’accouplement, le Rite d’Union pour faire la paix avec un adversaire, le Rite d’Autorité, pour déterminer le chef de Clan et, le plus connu de tous : le Rite de Passage, propre à chaque Clan, qui permet aux jeunes de devenir des adultes respectés et d’incorporer le clan de leur choix. L’appartenance à un clan permet d’accéder à la propriété, d’incorporer l’armée (à l’époque où elle existait encore sur Tuchanka) ou de servir sous la bannière d’un Seigneur de guerre. Durant certains rites, le Krogan peut demander de l’aide à son Krantt, un mot krogan qui désigne les plus valeureux alliés d’un individu. Avoir un Krantt n’est pas vu comme une faiblesse, bien au contraire : les Krogans les plus forts se doivent d’inspirer les autres et d’être épaulés par des alliés de renom.

Avant ce Rite, les jeunes vivent dans des clans femelles et sont régulièrement envoyés vers les mâles pour leur entrainement. Il n’existe pas vraiment de filiation dans les noms de famille des Krogans. A la naissance, les jeunes ne portent que leur prénom. Leur nom ne leur est attribué qu’une fois le Rite de Passage accompli au sein du Clan du leur choix. Un enfant né Urdnot, par exemple, peut très bien devenir un Gatatog. Les Krogans sans clan sont généralement méprisés et assassinés rapidement car vraisemblablement trop faibles pour accomplir le Rite demandé.

La Religion, quant à elle, est peu présente mais on sait de source sûre que les anciens Krogans vénéraient des dieux tels que Uzin, dieu de la vengeance ou encore Vaul. Lors de funérailles, les Krogans morts avec honneur ou pour une noble cause sont incinérés sur un bûcher au cours d’une cérémonie officielle.

Malheureusement l’introduction de la poudre à canon et des conflits armés qui en résulteront, sonneront le glas de ce peuple.

L’évolution permit que les Krogans supplantent toutes les espèces hostiles de leur planète. Délivrés de toute prédation, le taux de natalité explosa sur Tuchanka. Les ressources alimentaires et matérielles ainsi que l’espace de vie se firent rares. La tension monta d’un cran lorsque les luttes intestines entre les Clans déboucha sur la découverte de l’arme atomique. La raison aurait voulu qu’elle serve d’arme de dissuasion, comme ce fut le cas chez les humains après en avoir constaté les conséquences gravissimes sur Terre mais…il n’en fut rien.

Tuchanka fut détruite dans le conflit, sa gloire passée engloutie à jamais sous les cendres et les lourds nuages de l’hiver nucléaire. Les Krogans déclinèrent et la sélection naturelle favorisa les individus affligés par la Rage de Sang (anciennement, 1 cas pour 100 individus) , un dysfonctionnement hormonal et nerveux qui inhibe la douleur et les facultés cognitives pour mettre en avant les instincts de survie les plus primaires face au danger. Cela sous-entend que la plupart des grands penseurs de la société krogane se firent de plus en en plus rares au fil des millénaires pour laisser la place aux personnalités les plus brutales et primaires.

Et tel un témoin courroucé, l’étoile Aralakh, signifiant « Oeil de la colère » en dialecte krogan, contemplait l’agonie de son Monde-éden à travers l’épaisse atmosphère de chaos qui y régnait.

L’interférence galarienne

Depuis 1900 ans, les Krogans survivent tant bien que mal aux ravages qu’ils ont engendrés. Cachés dans des bunkers souterrains, leur vie n’est qu’un pâle reflet de celle de la génération précédente.

C’est dans cet état misérable que les Galariens font leur rencontre.

Le Conseil de la Citadelle a été formé depuis déjà 580 ans et se trouve à l’époque embourbé dans une terrible guerre contre une espèce alien extrêmement agressive : les Rachnis. Découverts par hasard, 80 années plus tôt, lors d’une expédition galarienne pour le compte du Conseil, les Rachnis s’avèrent intelligents mais peu enclins à trouver leur place et la paix au sein de l’espace concilien : aucun compromis ne peut être trouvé et la guerre est donc totale.

Lors de l’ouverture du relais sur leur monde d’origine, Suen, les Rachnis tuèrent les colons et utilisèrent des méthodes de rétro-ingénierie sur base des moteurs SLM des vaisseaux capturés afin de créer leur propre armada capable d’utiliser l’effet cosmodésique. Ce sont leurs recherches scientifiques liées à l’ézo découvert sur Kashshaptu quelques années avant cet incident qui leur permirent de copier avec succès cette technologie.

L’invasion qui en découla et la réponse armée du Conseil portera le nom de Guerre Rachni.

Après presque un siècle de combats contre les Rachnis, les Krogans, récemment découverts sont placés sous la protection des Galariens qui voient en eux un potentiel outil contre les menaçants insectes. Les Krogans sont formés aux technologies avancées et momentanément installés sur une planète plus accueillante, ce qui accélère leur évolution et, surtout, leur nombre… de manière exponentielle.

Les Krogans sont ravis, les Galariens aussi. Leurs études démontrent que le taux de natalité combiné à l’extrême résistance de ces colosses dans les environnements les plus hostiles (comme celui des planètes rachnis) et leur incroyable férocité peuvent inverser la tendance. C’est dans ce contexte que les Krogans sont lâchés contre les Rachnis. Monde après monde, la force militaire krogane, alors à son apogée sous les ordres des grands seigneurs de guerre dont les noms sont toujours chantés, écrase littéralement l’ennemi sous le nombre. Ils traquent les reines jusqu’au plus profond des nids et, enfin, 220 ans plus tard, la guerre est terminée.

La bataille s’achève tragiquement, sur Suen. Les dernière reines sont acculées mais refusent de se rendre. Les Krogans reçoivent le feu vert du Conseil et bombardent littéralement la planète afin de réduire cette espèce en cendre ; ce qui est de principe interdit par les Lois du Conseil. Cependant, fatiguée par 300 ans de guerre contre une espèce aussi belliqueuse, la Citadelle ferme les yeux sur ce génocide organisé.

Un poste d’écoute est laissé sur place, scrutant le moindre signal radio émis sur Suen afin de s’assurer qu’aucun Rachni ne puisse revoir le jour.

Le Conseil érige une statue au Présidium, en l’honneur du peuple qui les a libérés et leur offre gracieusement les mondes rachnis en guise de trésor de guerre  ainsi que quelques planètes difficilement habitables telles que Gellix et Garvug. Plus tard, les Krogans coloniseront également les planètes Wrill et Gembat.

A partir de ce jour, plus aucun relais principal ne sera activé sans en avoir découvert son jumeau afin que la galaxie ne soit plus sous la menace d’espèces hostiles.

La Rébellion

400 ans passent dans la paix mais voilà que les Krogans commencent de nouveau à se sentir à l’étroit sur leurs petites planètes.

Le Chef Suprême, Kredak, dirige les Krogans vers ce qu’il pense être un nouvel âge de gloire. Il se rend maître de diverses colonies alliées dont celle des Asaris : Lusia et défie le conseil de la lui reprendre. L’ambassade krogane ferme ses portes et, lorsque Kredak part de la Citadelle, un parfum de guerre flotte de nouveau au sein des étoiles.

Le Conseil, toujours prévoyant, venait tout juste de créer en secret une nouvelle force d’observation répondant au nom de SPECTRE, composée des meilleurs membres du GSI galarien et des Chasseresses Asari les plus aguerries. La réponse des Spectres face aux menaces de Kredak fut immédiate : virus informatiques, explosions ciblées et destruction de stations orbitales. Tout cela s’avéra cependant inutile face à la horde krogane qui ne cesse de renouveler ses troupes.

L’armée krogane semble alors invincible. Sa tactique est la guerre d’usure. Elle envoi des vagues de soldats contre les ennemis jusqu’à ce que les défenses craquent. A cette époque, les opérations sont centralisées par des Seigneurs de Guerre. Leur armée attaque dans l’espace avec de nombreux vaisseaux tandis que sur terre, les terribles blindés krogans (baptisés Tomkahs) se fraient facilement un chemin dans le chaos ambiant. Ils sont presque deux fois plus grands que les blindés des autres races. Les bastions krogans sont protégés par d’énormes canons Sol-Air capables de détruire un vaisseau en plein vol. Les militaires quant à eux utilisent des armes extrêmement mortelles telles que le Lance-Piques Graal et le fusil d’assaut Striker ainsi que bien d’autres fusils à pompe en tout genre.

Dans ce contexte sensible, un nouveau venu sur la scène galactique vient alors s’opposer aux indomptables forces kroganes. Les Turiens sont à leur tour utilisés par le Conseil. Leur lourde flotte s’engage avec acharnement dans ce conflit armé pendant près de 10 ans, jurant de détruire les Krogans, peu importe la manière depuis que ces derniers avaient rendus inhabitables trois de leurs mondes. L’une des batailles les plus célèbres de l’histoire se déroule alors sur Digeris, une colonie turienne attaquée par le Seigneur de Guerre Graken Dhal.

Plein de rancunes, les Turiens contactent les Galariens afin d’examiner leur nouvelle arme biologique curieusement appelée « Génophage ». Elle doit son nom au fait qu’elle tire son énergie du code génétique krogan : afin d’altérer chaque cellule (et contrer ainsi la régénération cellulaire), le « virus » phagocyte toute l’énergie de l’ADN de sa cible avant de disparaître. Cette arme est donc capable d’altérer l’ensemble du code génétique krogan afin de réduire drastiquement le taux de natalité et/ou de survie des nouveau-nés à un taux calculé par les Galariens à 1 pour 1000 ; permettant à l’espèce de survivre tout en la muselant sévèrement.

Ce qui devait être une arme dissuasive devint une arme effective dans les mains des Turiens. Ils la déployèrent sur tous les mondes habités par les Krogans via les hôpitaux, les nappes phréatiques, dans les grands centres de rassemblements et aussi via le Voile sur Tuchanka. Les archives de la Citadelle nous apprendront bien plus tard que l’Union Galarienne n’avait jamais donné son feu vert pour la diffusion du virus mais que la Hiérarchie Turienne ne l’entendait pas de cette oreille, probablement échaudée par la perte des trois mondes-édens sous le feu krogan.

La démographie krogane chute alors drastiquement, les réserves des combattants se vident et la guerre se termine doucement, un siècle après le départ de Kredak sur la Citadelle. La mort de Shiagur, une femelle krogane fertile et Foudre de Guerre respectée, sur la planète Canrum signe la fin du conflit : les Krogans rendent les armes.

Si la Guerre Rachni contribua à créer une Loi galactique contre l’activation des relais principaux en sommeil, la Rébellion krogane permit de mettre en projet les fameuses Conventions de la Citadelle dans lesquelles toute civilisation de l’espace concilien se voit interdire l’utilisation d’arme de destruction massive (tels que les astéroïdes) pouvant mettre en danger l’habitabilité des Mondes-éden.

Le système Aralakh, quant à lui, devint une zone démilitarisée : les Krogans se voyant interdits de porter des armes et des armures mais aussi de créer des vaisseaux de guerre.

La statue en leur honneur fut conservée au Présidium, le Conseil déclarant que la Rébellion ne changeait rien au fait que les Krogans avaient été de valeureux alliés avant de devenir des ennemis.

Un siècle après la Rébellion, les Turiens, reçurent un siège au Conseil pour leur aide inestimable tandis que les Krogans furent abandonnés au triste sort qui serait le leur durant 1476 ans.

Le nouveau Génophage

Le Génophage a été élaboré par les scientifiques Galariens et diffusé par les Turiens lors de la Rébellion krogane.

Vulgairement considéré comme un virus, il s’agit en réalité d’une arme biologique capable d’affecter chaque cellule des Krogans, modifiant le code génétique en se fixant sur des sites bien spécifiques. On peut considérer le Génophage comme une thérapie génique ; dans le mauvais sens du terme. Il a pour effet d’altérer le niveau des hormones qui, elles-mêmes, contrôlent les glandes sexuelles de l’espèce. Cette altération permet donc de réguler la démographie krogane en limitant leur capacité à se reproduire ou à donner naissance à des enfants viables. Les Galariens calculent, à l’époque, qu’une naissance pour mille permettra aux Krogans de maintenir une population stable, similaire à un niveau pré-industriel.

Mais la survie est le fer de lance des Krogans. Plus de 1400 ans plus tard, leur corps commence à s’adapter au Génophage.

Le Professeur Mordin Solus, alors en charge de l’observation des effets du Génophage en tant que membre du GSI galarien (il a servi avec le Capitaine Kirrahe) constate une nette augmentation de la démographie krogane non liée aux évènements sociaux et culturels.

Depuis le Génophage, la grande armée krogane est devenue de l’histoire ancienne et la plupart des adultes quittent Tuchanka pour s’enrôler comme mercenaires et ne jamais revenir. Ce fut le cas, par exemple, pour Ganar Wrang, ancien Seigneur de Guerre de la Rébellion exilé pour avoir frappé une femelle, qui fonda les Berserkers et conserva des liens étroits avec le Clan Weyrlock sur Tuchanka. Sa SMP (Société Militaire Privée) recrutera de nombreux autres Krogans, à l’image de Jorgal Thurak.

Mordin découvre avec stupeur que la redondance organique ainsi que la très grande régénération cellulaire ont progressivement aidé les Krogans à contourner l’arme biologique galarienne en attachant de faux codes génétiques sur les sites d’attaque du Génophage. Ceci permet aux véritables sites de retrouver leurs fonctionnalités, rehausser le niveau des hormones et restimuler correctement les glandes.

Mordin est immédiatement mandaté par le GSI afin d’évaluer les conséquences d’une augmentation de la démographie kroganne. A la tête de l’équipe de recherche, le Professeur ne peut que constater que toutes les simulations conduisent à la guerre et au chaos. Il commence dès lors ses travaux, assisté par Maelon, son étudiant. Ceux-ci portent sur une modification du Génophage afin de stabiliser de nouveau, dans le plus grand secret, le taux de natalité.

Mordin est toutefois un homme de bien et, malgré la lourde charge émotionnelle et éthique qui repose sur ses épaules, il se refuse à expérimenter in vivo. Il tire ses données d’extrapolations mathématiques, de simulations et, enfin de quelques tests sur des tissus créés par clonage ainsi que sur les varrens en fin de projet (car ils sont originaires de Tuchanka et partagent donc quelques éléments en commun avec les Krogans). Il avouera quelques années plus tard au Commandant Shepard que modifier le Génophage était extrêmement complexe dans la mesure où il a été contraint de composer avec les limitations pré-existantes. La moindre erreur aurait pu créer des mutations génétiques graves, réduire l’efficacité de l’arme biologique ou, pire encore, transformer le Génophage en génocide.

Les recherches aboutissent quelques temps plus tard : le Génophage 2.0 est testé discrètement sur un seul clan afin de valider les données. La modification s’avère concluante : il est de nouveau diffusé à grande échelle via le Voile, une immense structure érigée par les Galariens et servant à protéger les habitants des radiations causées par l’hiver nucléaire vieux de 4000 ans.

Mordin se retire ensuite de la vie active et trouve refuge dans une petite clinique de quartier de la tristement célèbre station Omega, dans les systèmes Terminus. Il y restera quelques années, ruminant sur son passé, sans jamais s’avouer que son travail, bien que nécessaire, lui a laissé plus de cauchemars que de gloire.

Pendant ce temps, les Krogans continuent à sombrer dans l’indifférence générale. Les femelles fertiles deviennent davantage des « objets » de grande valeur, sources de conflit entre les clans et plus aucun d’entre eux ne croit à un futur pour leur peuple.

Tous, sauf un.

Un futur pour les Krogans ?

Urdnot Wrex est le fils de Urdnot Jarrod et le frère de Urdnot Wreav. Le nom de sa mère est, à ce jour, inconnu. Il est le seul Krogan (hormis Grunt) célèbre pour avoir tué un dévoreur lors du Rite de Passage du clan Urdnot.

Jarrod, chef du clan Urdnot, a connu la Rébellion Krogane et reste fortement marqué par ses conséquences pour son peuple. Il prône à l’époque la restauration rapide de la gloire des Krogans par la force.

Cependant, son fils, Wrex propose un autre chemin aux tribus : la paix pour au moins une génération. Il est le seul parmi les siens capable de voir à quel point tout avait changé depuis la Rébellion. Les Krogans n’ont plus ni le nombre ni la force militaire de leur côté. Wrex suggère alors de se concentrer sur les naissances et de cesser toute activité pouvant mettre à mal leur démographie.

Ses paroles commencent à faire leur chemin dans l’esprit des siens ; ce qui déplait fortement à son père. Ce dernier le convoque sur la terre sacrée de leurs ancêtres, là où gisent à même le sol les restes des ainés. Ce lieu, pourtant propice au dialogue puisque toute violence y est interdite, sera souillé par la tentative d’assassinat de Jarrod sur son propre fils. Refusant de céder aux idées de son père, Wrex est attaqué de toutes parts et ses amis tombent sous les balles des Krogans, en embuscade sous les tombes. Il parvient tout de même à s’en sortir ; non sans planter sa lame dans le cœur de celui qui lui a donné la vie.

Avant de partir, Wrex tire un trait définitif sur sa famille (« Wreav et moi partageons la même mère, rien de plus », dira-t-il à Shepard) mais jure à son défunt grand père de retrouver l’armure ancestrale des Urdnot qui est alors entre les mains du Turien Tonn Actus. Il quitte Tuchanka, écœuré d’avoir été trahi par son propre père et sans guère d’espoir quant à l’avenir de son peuple. Il se recycle par dépit comme mercenaire avant de rencontrer le commandant Shepard sur la Citadelle.

A la suite de ses aventures sur le Normandy, il rencontre son destin sur la planète Virmire. Confronté aux Krogans modifiés par Saren, Wrex ne peut concevoir de les détruire en même temps que la base étant donné qu’une cure au Génophage vient d’y être lancée. Son opinion se heurte à celle de Kirrahe, un galarien membre du GSI bien entendu convaincu qu’une cure serait une erreur. De son propre aveu, aucune force concilienne ne pourrait résister à une armée krogane réunifiée et capable de se reproduire en masse.

Le Commandant Shepard peut convaincre Wrex de patienter, cette cure ne servant finalement que les desseins de Saren (guérir le Génophage pour créer une armée kroganne sous son emprise) et non ceux de son peuple ou, au contraire abattre Wrex. Cet instant sera la pierre angulaire de l’arc narratif des Krogans pour le reste de la trilogie.

Si Shepard parvient à expliquer que ces Krogans ne sont que les outils de Saren, comme l’ont été ses ancêtres pour le Conseil lors de la Guerre Rachni, Wrex se ressaisit et se rallie à la cause du Commandant. Dans l’autre cas, il est fou de rage et meurt sous le feu de ses propres alliés. Sans Wrex dans le second opus, son frère Wreav sera alors aux commandes de la tribu Urdnot et se verra être un piètre allié, indigne de confiance.

Dans l’hypothèse où Wrex survit, il est alors le Chef des Urdnot et décide de reprendre son action là où elle s’était arrêtée, quelques années plus tôt : réformer en profondeur les mentalités sur Tuchanka.

Son plan est simple : partager les ressources, y compris les femelles fertiles. Il décide de créer une zone neutre dans laquelle tous les clans sont invités afin de favoriser la reproduction et éviter que son peuple s’entretue sans fin. Bien conscient qu’il lui sera difficile de contenter des êtres aussi belliqueux et fiers, il permet à tous les clans qui le rejoignent de conserver leurs traditions telles que les chants de guerre, les rites de passage spécifiques, etc. Si un clan dévie de la trajectoire fixée par Wrex ; il n’est plus le bienvenu et se voit détruit par les autres membres.

De plus, il décide, contrairement à la plupart de ses compatriotes, d’accorder de l’espace aux femelles des clans en les écoutant et en appliquant certaines de leurs idées : du jamais vu chez les Krogans ! Cette prise de position forte envers les femelles a pour effet immédiat de les faire toutes rejoindre le Clan Urdnot, qui devient dès lors un des clans les plus puissants de Tuchanka puisqu’il dispose de la ressource la plus rare de son peuple.

De nombreux clans font désormais partie de cette alliance. Néanmoins, ces derniers ne sont pas complètement persuadés que le chemin tracé par Wrex soit le bon et ils continuent de promouvoir l’usage de la force et des anciennes traditions comme seul et unique moyen de restaurer les Krogans dans leur gloire. Mais le poids des femelles fertiles du clan Urdnot est trop important et il se voit donc protégé par tous les autres clans, concurrents ou alliés, en dépit des quelques zones de frictions existantes.

Cette situation amuse Wrex et il comparera d’ailleurs ces traditionnalistes krogans à des « varrens enchainés », ce qui est révélateur du mépris qu’il éprouve envers eux. Malgré son ressentiment, il met à profit les qualités de chaque clan pour le bien commun : la tactique est, par exemple, gérée par les Urdnot, les naissances par le clan Jorgal dont la lignée est la plus ancienne et le Clan Ravanor s’occupe des opérations de minage. Il ira même jusqu’à intégrer Grunt au sein des Urdnot bien qu’il lui répugne d’utiliser un Krogan conçu artificiellement depuis l’épisode de Virmire. Un Krogan sans clan est détesté par ses semblables et invariablement tué ; raison pour laquelle il laisse entrer Grunt dans sa famille en souvenir de l’amitié qui le lie à Shepard.

Dans Mass Effect 3, la course du destin s’accélère encore pour les Krogans peu après l’invasion des Moissonneurs dans la galaxie.

Wrex sait, de source sûre (on apprendra plus tard qu’il s’agit de Mordin en personne) que les Galariens détiennent des femelles fertiles et immunisées au Génophage dans un centre secret. Il presse donc la Dalatrace de lui en donner l’emplacement afin que les femelles reprennent leur place au sein des clans.

Cette proposition est jugée indécente par la Dalatrace qui prétend « connaître les Krogans ». Elle s’oppose vigoureusement à la cure et sous-entend que les Galariens se retireront de l’alliance galactique contre les Moissonneurs si cette piste était envisagée. Le Primarque Turien est quant à lui plus enclin à trouver un compromis, son monde d’origine, Palaven, se retrouvant sous le feu ennemi et nécessitant de toute urgence l’aide krogane.

La Dalatrace craque finalement sous la pression des représentants humains et turiens et indique les coordonnées d’un centre de recherche sur Sur’Kesh, le monde d’origine des Galariens. Ce centre se révèle être protégé par le GSI. Le Professeur Mordin y étudie les effets de la cure de Maelon, son ancien élève, sur les femelles et tente de les sauver car, malheureusement, la viabilité du procédé initié par Maelon s’avère médiocre. Si les femelles se voient immunisées, cela se fait au détriment de leur immunité. Mordin est persuadé de pouvoir y remédier via l’analyse de tissus vivants.

La longue introspection du Professeur aura finalement porté ses fruits : le voilà prêt à aider les Krogans afin d’expier ce qu’il considère désormais être une erreur (sans doute la seule) de sa part lorsqu’il travaillait sur la nouvelle version du Génophage. Mais pour cela, il faut extraire la dernière femelle vivante de ce centre attaqué par les forces de Cerberus.

C’est de cette manière que Wrex rencontre Eve, surnom affectueux donné par le Professeur, de son véritable nom : Bakara. Grâce aux données de Maelon (si elles sont conservées), Mordin compte synthétiser des antigènes via les tissus de Eve et Wrex, bypasser le double système nerveux des krogans et ajuster ainsi le niveau des neurotransmetteurs qui bloquent la fertilité du peuple de Tuchanka. Il est le mieux placé pour guérir les Krogans étant donné ses précédentes recherches sur la modification du Génophage.

Une fois les données réunies et les échantillons fabriqués, ne reste plus qu’à trouver le meilleur vecteur de diffusion possible. Contaminer les nappes phréatiques de Tuchanka prendrait trop de temps et une inoculation volontaire serait trop fastidieuse et risquée étant donné que la population kroganne est très dispersée. Ne reste comme solution que le Voile.

Malgré la défiance de Wrex vis à vis de Mordin, Eve, bien plus modérée que les mâles, se montre rassurante et conforte le Professeur dans son idée de sauver les Krogans . Elle rassure également Wrex au sujet de Mordin, ce Galarien étrange au cerveau semblable à un labyrinthe :

« Celui-ci est différent. », lui glissera-t-elle.

Différent ..Wrex ne l’est-il pas tout autant par rapport au reste de son peuple ?

Wrex, de nouveau lui, est parfaitement conscient qu’une fois guéris, les Krogans seront une force indomptable mais se refuse à commencer de nouveau conflits. Dans le premier Mass Effect, il avait déjà dit à Shepard que ce n’était pas le Génophage qui tuait son peuple mais que ce dernier se détruisait tout seul à cause de ses mauvais comportements : ne créant rien (colonies, développement scientifique, etc) ils ne peuvent espérer relever leur peuple en quittant leur planète pour aller se battre et mourir au nom de causes perdues. Dans le troisième opus, il réitère ses propos en précisant à Mordin que la guerre n’a apporté que la misère à son peuple : il sera un chef bien différent du tristement célèbre Kredak.

Après avoir désactivé la bombe turienne posée en secret dans la vallée de Kelphic des centaines d’années plus tôt, l’équipage fait route vers le Voile, qui servira à diffuser la cure, lui qui en son temps avait diffusé la nouvelle version du Génophage. La Dalatrace tente une nouvelle fois de persuader Shepard de saboter la cure de Mordin en lui promettant la flotte galarienne au complet pour l’aider dans sa quête. 

Le Commandant peut, selon son orientation, choisir d’avertir Eve et Wrex au sujet du sabotage du Voile (un garde-fou fabriqué par les Galariens afin d’empêcher une cure d’être diffusée) mais aussi choisir de guérir ou non les Krogans ; avec des conséquences différentes selon que Wrex ou Wreav soient aux commandes. Dans le premier cas, Wrex se rendra compte de la trahison et devra être tué plus tard. Dans l’autre, Wreav, plus terre à terre n’y verra que du feu. Dans le même temps, Shepard peut dissuader Mordin de lancer la cure via la salle de contrôle du Voile (à condition que Wrex et Bakara soient morts), lui tirer dans le dos ou bien le laisser y aller pour rencontrer son tragique mais ô combien symbolique destin, emporté par les flammes mais libéré du poids énorme qui pesait sur ses épaules. (découvrez notre guide des fins de Tuchanka)


Partie II – Analyse des grandes lignes et des thématiques de l’arc narratif

Le Génophage et les Krogans forment un arc narratif absolument bien écrit. Le background y est particulièrement développé et, à condition d’être creusé, permet de dépeindre quelques grandes thématiques qui vont aider, voire même conditionner le joueur dans sa prise de position par rapport au conflit en cours de partie.

Le désespoir

Le thème majeur lié à l’histoire krogane est le désespoir.

C’est par désespoir que les Galariens ont utilisé les Krogans comme arme de la dernière chance contre les Rachnis et, par désespoir encore qu’ils ont inventé le Génophage afin de les stopper lors de la Rébellion.

Bien que les Krogans puissent paraîtres brutaux et stupides, les conversations disséminées aux quatre coins de la galaxie mettent également en évidence le profond mal-être des cette espèce. Wrex en est bien entendu le parfait représentant pour le joueur puisqu’il fait partie du Normandy et parle donc souvent avec Shepard.

« C’est ce que nous sommes Shepard. Je ne peux pas changer ça. Personne ne le peut. »

Le ton est donné dès les premières discussions. Son exil en tant que mercenaire est représentatif de son état d’esprit et, par extension, caractéristique de tout le peuple krogan qui fuit cet ennemi qu’il ne peut combattre, qui oublie son funeste sort dans le sang et les combats et, dans une certaine mesure, y décharge toute la colère accumulée de génération en génération.

Les autres Krogans son tout aussi dépités que notre ami : de nombreux exemples nous sont donnés en cours de partie.

Kargesh et Rukar veulent savoir s’il y a du bon poisson dans le lac du Présidium mais son traités comme des parias, les gardes leur refusant l’accès. Pourtant, rien n’indique qu’ils aient de mauvaises intentions et ne sont d’ailleurs ni armés ni vêtus d’une armure.

Les Krogans n’hésitent pas à se donner en pâture aux scientifiques pour sauver leur peuple comme en témoignent les actions des guerriers désespérés sur Virmire, les femelles qui s’offrent à Maelon malgré les risques induits par ses expériences, l’éclaireur des Urdnot prêt à subir les pires sévices par ses ennemis du clan Weyrlock au nom d’une cure pour le génophage, …

Wrex est même prêt à faire confiance à Saren sur Virmire alors qu’il l’a déjà rencontré au cours d’une ancienne mission de mercenaire durant laquelle il a préféré le fuir tant il lui inspirait la méfiance !

« Voila ce que nous étions, le Génophage a fait de nous des animaux. »

Au final, quelle meilleure manière de décrire tous ces sentiments qui ont traversé le peuple Krogan pendant des siècles, tandis que la Cure se propageait sur Tuchanka à la fin de l’arc narratif des Krogans. Par ces quelques mots, Wrex venait de livrer, avec justesse l’image que tous les Krogans se faisaient d’eux-mêmes et la raison pour laquelle ils s’infligeaient tant de mal et n’aimaient personne, eux y compris.

C’est cette triste aura se dégageant par delà leur apparence bestiale, qui va conditionner tout au long de la trilogie le joueur dans sa prise de décision. Nous sommes rapidement tentés de prendre en pitié les Krogans mais le Codex et les récits de leurs anciens méfaits viennent équilibrer la balance, laissant le joueur choisir entre la raison (Galariens) ou le cœur (notre ami Wrex, les Krogans).

Au joueur de choisir en fonction de sa propre expérience et de ses affinités…

L’intolérance, le mépris et la peur : piliers du conflit

Le Génophage était une nécessité, comme le diront Kirrahe, Mordin ou encore la Dalatrace et le Primarque.

Indiscutablement, il fallait contenir l’expansion krogane ; faute de quoi la galaxie allait sombrer dans le chaos. Cependant, son utilisation aurait vraisemblablement pu être évitée si les Galariens n’avaient pas utilisé les Krogans comme de vulgaires pantins.

La Dataltrace avouera sur le Normandy que les Galariens avaient éduqué les Krogans comme des machines de guerre et ne leur avaient donné l’accès qu’aux technologies et connaissances jugées nécessaire par l’Union Galarienne.

Cette omission volontaire sera l’élément principal qui causera tant de misère dans la galaxie.

Pour aller plus dans le détail, nous nous retrouvons face à deux espèces complètement différentes tant dans leur morphologie que leur manière de penser et de vivre : d’un côté les Galariens, cérébraux, calculateurs et sans doute un peu hautains et, de l’autre, les Krogans ; ces grandes brutes considérées probablement comme inférieures et juste bonnes à chasser des Rachnis.

Pas la peine de leur en apprendre plus, en effet, qu’en feraient-ils ?

Ce tout petit détail est le véritable pêché originel de cette histoire. Le Génophage n’en est qu’une conséquence malheureuse mais, à l’époque, nécessaire.

Galariens comme Turiens démontreront au cours de la trilogie que ce mépris est bien ancré dans les moeurs ; la Dalatrace appelant Wrex « Le Krogan », sans jamais vouloir le nommer. Sur base de faits historiques, Galariens et Turiens ne valent guère mieux que les anciens Quariens qui ont souhaité utiliser les Geths comme des esclaves.

Malgré cela, il faut bien leur accorder que les Krogans ont suscité de leur côté un puissant sentiment de peur à cause de la Rébellion et que cette peur vient catalyser l’avis négatif qu’ils se sont forgé au fil des siècles à leur sujet.

Mais en la personne de Eve, la Galaxie trouvera la voix de la raison, le chemin de la conciliation.

En effet, elle dira au sujet du Génophage que « La galaxie peut être pardonnée ; même si elle leur doit beaucoup car les comportements krogans n’ont jamais inspirés l’amitié. »

Wrex et Mordin : similaires dans la différence

Ce qui permettra de mettre fin à toutes ces souffrances tiendra au rapprochement de deux êtres que tout oppose sur le papier…et pourtant !

Wrex et Mordin sont aux antipodes l’un de l’autre ; en apparence seulement.

En effet, à y regarder de plus près, leur psychologie ainsi que leur histoire personnelle se font sans cesse écho tout au long de la trilogie, ce qui donne le sentiment qu’ils sont en réalité les deux éclats d’un seul et même personnage. Personnage que l’on peut juger comme étant hautement symbolique : le reflet de la paix tant attendue entre Galariens et Krogans.

Au début, bien avant Shepard, Wrex est un Krogan avec des idées nouvelles, réformatrices mais qui se heurte aux anciennes traditions. Après avoir été blessé moralement par la trahison de son père, il se réfugie dans une vie de mercenaire, plus simple ; loin de tous les tracas liés à son peuple.

Mordin, quant à lui, est le parfait Galarien : intelligent, rusé et totalement en adéquation avec la mentalité de son peuple, héritée de génération en génération par l’imprégnation des œufs des petits galariens par les génitrices. C’est cet état d’esprit, propre aux Galariens, qui le fera travailler sur le Génophage 2.0 sans trop se soucier des problèmes éthiques qu’il soulève. Toutefois, une longue lutte morale se jouera dans son esprit suite à la diffusion du nouveau virus.

Bien que nécessaire, savoir qu’il a joué un rôle dans la mise au point du Génophage le ronge petit à petit. Il était simple de se réfugier derrière des statistiques et des probabilités ; assez noble de sa part de vouloir y prendre part afin d’éviter que quelqu’un d’autre fasse une erreur de calcul mais il se voilait en partie la face.

« La vie est précieuse, l’Univers demande de la diversité. »

Son leitmotiv, son alibi pour se justifier face aux krogans devient difficile à porter. Le choix rationnel qu’il a pris à cette époque l’empêche désormais de dormir la nuit. La religion, un comble pour un homme de sciences, ne lui donnera pas plus de réponses.

Son sentiment de culpabilité le pousse à trouver refuge, tout comme Wrex, dans un travail plus simple : il quitte alors le GSI et s’isole dans une petite clinique d’Omega. Le Professeur devient Docteur et prend du plaisir à prendre soins des gens ; ce qu’il a toujours voulu faire…

« Pas Coupable, Responsable. »

Le concept de Roue/Cycle de la vie galarien, assez semblable à l’hindouisme chez les humains, donne un peu de sursis à son âme torturée. Les Galariens croient à un cycle de réincarnation et, secrètement, Mordin espère pouvoir réparer ses erreurs au cours de sa prochaine vie.

Nous venons donc de voir que les personnages de Wrex et Mordin ont le même vécu et nous allons maintenant observer comment ils vont finalement se rejoindre et réparer ensemble les erreurs du passé.

C’est Shepard, une fois de plus, qui les réunira et accéléra leur évolution psychologique.

Sous l’influence du Commandant, Wrex reprendra confiance en lui et en son peuple et deviendra le grand chef Urdnot, inspirant la confiance et la loyauté tandis que Mordin approfondira sa réflexion sur ses agissements et sur le peuple krogan. Les paramètres de ses calculs ne sont plus corrects car, dans l’équation se trouvent désormais des Krogans de valeur dénommés Wrex et Bakara, incarnant le renouveau de leur peuple. Il dira d’ailleurs dans Mass Effect 2 que l’idée d’un gouvernement krogan lui plait. Les Krogans sont un peuple qui en vaut la peine car les Krogans unis ont sauvé la galaxie de la menace rachni ; dès lors, pourquoi n’en serait-il pas de même à nouveau ?

Ce changement de mentalité de leur part va les faire converger tous les deux vers le point culminant de leur histoire : la cure du génophage par le biais de laquelle ils laveront leur honneur respectif, accompliront l’objectif de leur quête et trouveront la paix.

En résumé, leur parcours et leur évolution psychologique est presque identique : tous deux cherchent la repentance et une solution mais face aux difficultés ; ils s’isolent sur Omega pour l’un et dans une vie de mercenaire pour l’autre. Shepard va modifier leur perception des choses et les réunir pour qu’enfin s’accomplisse leur destinée.

Cette grande similitude permet d’une certaine manière de justifier la mort de l’un au profit de l’autre sans aucune possibilité de faire coexister Mordin avec Wrex. Symboliquement, Mordin s’efface et emporte avec lui toute son histoire personnelle et près de 1500 ans de haine pour laisser la place à son « double » et son nouvel avenir.

Mordin et Wrex sont un seul et même personnage : la Paix.

Les thèmes sociétaux et moraux

Si l’histoire des Krogans et du Génophage nous touche c’est sans aucun doute car elle aborde des thèmes qui font écho à notre propre actualité, notre propre vécu.

C’est un arc narratif extrêmement lourd car à la différence de celui des Quariens, le joueur peut directement s’y projeter. Les soucis éthiques liés à la vie synthétique ne trouve aucun repère chez nous car, à ce stade de l’évolution, il n’en existe pas. En revanche, nous voyons et entendons de la discrimination et des à-priori raciaux/ethniques tous les jours !

On peut dès lors facilement s’identifier aux Krogans ou à ceux qui les méprisent (personne n’est parfait!) et revivre certaines scènes de nos propres vies par le biais de cette histoire. Cet écho thématique nous permet de nous approprier les personnages d’une manière bien plus personnelle que ceux des autres arcs narratifs et c’est probablement ce qui rend la prise de décision si complexe et les personnages si touchants.

L’amitié, dans son sens le plus noble est également mise sur le devant de la scène et cristallisée en la personne de Shepard. L’un des facteurs déterminants dans la résolution du conflit c’est tout simplement l’amitié naissante d’un Krogan (inconcevable, au début de l’aventure!) pour un Humain et la loyauté qui en découlera. Dès ce moment, les Krogans ne sont plus seuls sur l’échiquier galactique, comme cela l’a été durant des millénaires.

La place des femmes dans la société y est également prépondérante car ce n’est que grâce à la survie de Eve/Bakara et de ses idées que l’on peut parler de véritable futur pour les Krogans. Ce thème est abordé de manière élégante, sans en faire de trop et ce n’est sans doute pas un hasard si une femme prendra les commandes de ce peuple très patriarcal : tout un symbole !

Le bien et le mal, enfin, sont traités de manière non manichéenne au cours du déroulement de cet arc. Les multiples situations vécues avec les Krogans et les Galariens mettent en évidence de manière très convaincante qu’un contexte donné peut créer de nombreuses zones grises au sein desquelles il est difficile de se positionner.

Le Génophage, bien que nécessaire, doit cesser mais uniquement si Wrex et Bakara son là pour veiller sur leur peuple. A défaut, sous l’emprise de Wreav, l’issue serait complètement incertaine !

C’est ainsi que d’un geste noble et bon peut naître un mal plus grand encore alors qu’un mauvais geste (tuer Mordin/mentir) peut parfois se justifier en fonction du contexte général.

D’un grand mal peut parfois naître, non plus un bien mais, tout au plus, un mal moins profond.

En cela, l’arc du génophage est un bien bel exemple qui permet de remettre en cause fondamentalement notre perception du monde.


Conclusion

L’histoire des Krogans, c’est bêtement l’histoire du fermier qui veut se débarrasser d’un nuisible en introduisant un prédateur en dehors de son milieu naturel. Une fois le problème initial réglé, l’introduction du prédateur dans un milieu inadapté à son équilibre fragile vient en créer un autre.

Ne reste alors au fermier que la solution la plus radicale …

Ce geste anodin bouleversera à jamais la Galaxie toute entière et mettra des milliers d’années à se résoudre. Il faudra pour cela attendre de réunir toutes les bonnes personnes au bon moment.

Le récit des aventures de Wrex et Mordin nous touche énormément car il éveille en nous des échos de nos vies et de l’histoire de l’Humanité. Nul besoin d’aller se perdre dans les étoiles pour constater que les préjugés, le mépris et les amalgames sont nombreux sur notre planète. Cette appropriation émotionnelle peut déstabiliser le joueur, qui est alors en constante balance entre le cœur ou la raison, selon la situation que ses choix auront définie.

Humainement parlant, Bakara, Wrex et Mordin nous ont offert durant tout l’arc narratif une très belle leçon d’humilité car de grands esprits scientifiques peuvent se tromper et des idées provenant de peuples moins développés ou gâtés par la nature peuvent et doivent se faire entendre sans susciter de moqueries. De même, le Génophage nous apprend à ne pas nous fier aux apparences car sous leur imposante carapace, les Krogans se montrent des êtres particulièrement touchants et nobles.

L’histoire des Krogans, c’est bêtement l’histoire de la vie, de la survie, de l’évolution.

Leur corps a toujours immédiatement répondu à leur environnement mais presque 4000 ans auront été nécessaires pour que leur esprit s’adapte au monde qui allait enfin pouvoir être le leur.

Abyss, pour masseffectuniverse.fr