Hors sujet : Interstellar – le temps passe, l’amour demeure Contributeur MEU 17/11/2014

Hors sujet : Interstellar – le temps passe, l’amour demeure

Ce mois de novembre marquait la sortie d’un nouveau film de Christopher Nolan, Interstellar, le premier film de science-fiction du réalisateur. Nous nous devions de vous proposer un article sur le film au sein de notre rubrique des « Hors sujets ». C’est pourquoi nous avons fait appel à Loïc F., étudiant en cinéma, afin de vous proposer une critique pertinente de ce film qui marquera à coup sûr l’année 2014.

La critique contient du spoil sur le film, sans pour autant dévoiler des éléments clés de l’histoire.

interstellar-film-01Fort des succès de sa trilogie Batman et de Inception, Christopher Nolan peut se permettre tout et n’importe quoi. Avec Interstellar, il affirme son génie de chef d’orchestre de grosses productions, tenant à sa botte les grands pontes d’Hollywood et pouvant faire ce qu’il veut de leur argent. Car s’il a bénéficié d’un budget colossal (165 million de dollars) et d’un casting en or (Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jessica Chastain, Casey Affleck, Michael Caine, quand même), Nolan livre un anti-blockbuster quasiment dénué d’action. Œuvre à l’héritage des films des années 80, où tout le « style » de Nolan – ses défauts comme ses forces – se trouve décuplé, Interstellar est une sorte de miroir de l’ensemble de la carrière du réalisateur.

interstellar-film-02Plus proche de l’odyssée spatiale de George Lucas que de celle de Kubrick, Interstellar veut offrir du spectacle et surprendre son public. Mais si les passages de distorsion de l’espace sont remarquables, ce sont les retrouvailles avec les défauts récurrents du réalisateur qui frappent le plus. Des défauts qui se sont, doucement mais sûrement, amplifiés au fil de ses derniers films (Inception et The Dark Knight Rises notamment) et qui sont plus forts que jamais dans Interstellar. Car si Christopher Nolan est un chef d’orchestre exemplaire, il n’en reste pas moins un metteur en scène un peu fainéant. Des défauts qui sont le résultat d’une carapace qu’il s’est formée pour masquer ses lacunes mais qui finit par le trahir.

Offrir du spectacle et surprendre le public donc. Pour cela, Nolan ne lésine pas sur les twists, artifices scénaristiques dont les ficelles sont décidément de plus en plus grosses chez lui et qui débouchent sur des situations à la limite du risible où les personnages passent en un temps éclair d’une chambre d’enfant à une zone de lancement secrète de la NASA. A cela s’ajoute le rythme tonitruant sur lequel se construit l’histoire. Aucun moment de répit pour le spectateur, pas le temps de se questionner sur les faiblesses du film.

La plus grande faiblesse de Nolan et la plus grave pour un réalisateur de cinéma, c’est son incapacité fréquente à raconter par l’image plutôt que par le texte, le dialogue. Ainsi, la redondance de champs-contrechamps ennuyeux où les personnages ne font que parler et se sentent obligés de tout expliquer pendant les 2h49 du film finit par donner le tournis… De ce manque d’ingéniosité pictural (et on ne parle pas ici de la direction de la photographie, très belle) découle une utilisation excessive de la musique pour parvenir à insuffler des sentiments au spectateur. C’est d’autant plus regrettable lorsque, s’inspirant de la musique de 2001 : L’Odyssée de l’Espace et de celle de Koyaanisqatsi par Philip Glass, Hans Zimmer livre sa meilleure partition depuis bien longtemps…

Mais des surprises, il y en a. A l’image du départ de Cooper (Matthew McConaughey), qui abandonne sa famille en l’effaçant par la fumée projetée par sa voiture et se retrouve soudainement propulsé dans l’espace, il y a des moments où Christopher Nolan semble sortir de sa syncope prolongée pour enfin proposer des choses intéressantes.

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Malgré tous ces défauts, il reste au coeur du film un tour de force formidable. L’instant d’une scène, où Cooper est emprisonné dans un tesseract, Nolan illustre les thématiques de toute son oeuvre : le temps et l’amour. Car chaque film de Christopher Nolan est dans un premier temps une quête de la représentation du temps. Comment visualiser à l’image ce qui n’a pas d’image, modéliser ce qui n’a pas de forme ? Ce temps est ensuite étiré, rétracté, distordu, chamboulé (la narration à rebours de Memento, ou puzzlée du Prestige, l’utilisation récurrente du montage alterné…). Une manipulation du temps qui s’oppose toujours à l’amour entre deux personnages.

De Memento où un amnésique est hanté par l’image de sa femme assassinée alors que sa maladie le prive de toute notion du temps, en passant par la trilogie Batman où Bruce Wayne tente de se défaire des images de son père et de son amie Rachel des décennies après qu’il les ait perdus, Inception où les actions du personnage sont entravées par le fantôme de sa femme dans des strates de rêve où le temps est distordu, à Interstellar où le lien entre un père et sa fille survit à toute une vie sans que les deux ne se voient. Comment l’amour traverse-t-il le temps ? Voilà la question que pose Christopher Nolan dans chacun de ses films.

Une seule scène, la plus expérimentale de la carrière de Nolan et pourtant la plus belle, qui vient illuminer tout le film. Une scène où Cooper, séparé de sa petite fille par les murs du temps à la fois figés et en perpétuel mouvement, réussit à toucher l’invisible, à palper le temps pour le manipuler. C’est sans aucun doute la chose la plus forte que Nolan ait réussit à faire à ce jour, qui pourrait presque donner envie de pardonner toutes les tares accumulées.

Interstellar est une œuvre bancale, bourrée de défauts, qui comporte le pire de Nolan mais également le plus beau. Un peu à la manière de chacun des films du réalisateur, mais cette fois-ci de manière bien plus forte, il ne prend finalement d’intérêt que dans ce qu’il représente vis à vis de l’ensemble des autres films. Mais au vu de ce que fait la concurrence, si tous les blockbusters actuels pouvaient être imparfaits de la sorte, ce serait le meilleur des mondes.

Loïc F., Contributeur pour MEU

Trailer du film