Saren est un personnage mystérieux qui suscite encore beaucoup d’intérêts, presque 14 ans après la sortie de Mass Effect 1. Il est le premier ennemi rencontré, la première menace mais aussi la première question. A l’image de ce que deviendra la série « Mass Effect », l’antagoniste Saren s’inscrit dans la lignée des personnalités non manichéennes qui viendront déstabiliser les valeurs de Shepard et donc; du joueur. Les premières ébauches du Spectre dépeignent pourtant un Saren beaucoup plus vieux, mystérieux et sombre que celui que nous connaissons. A la base, Saren devait être un vieux Turien capable d’utiliser la biotique. Les équipes de développement ont cependant décider d’opter pour une apparence standardisée, typiquement turienne lorsque son backround de Spectre renégat a été mis sur pied, ceci afin de mettre davantage en valeur ses aptitudes militaires. Pour le distinguer d’un personnage classique, la direction artistique ne lui a pas rajouté de tatouages tribaux sur le visage : Saren est unique, indépendant.
Son histoire personnelle est, quant à elle, semée de batailles et d’actes atroces mais n’en demeure pas moins émouvante pour autant. Pourquoi Saren est devenu ce qu’il est est ? C’est le coeur de ce dossier. Plongeons ensemble dans les obscures méandres de 26 ans de souffrances.
Les maux qui dévorent les Hommes sont le fruit de leurs choix; et ces malheureux cherchent loin d’eux les biens dont ils portent la source.
Pythagore
En 2157, en plein milieu de l’Incident du Relais 314 (la Guerre du Premier Contact) , Saren suit les traces de son grand frère, le Général Desolas Arterius. Celui-ci mène une expédition sur une Shanxi occupée afin de mettre à jour un ancien artéfact d’origine inconnue. Capturé par des humains, le Général sert de leurre en vue d’une embuscade orchestrée par un groupe d’humains parmi lequel figure un certain Jack Harper, le futur Homme Trouble. Après quelques péripéties, les forces d’intervention turienne parviennent à libérer Desolas et faire prisonnier les humains. La guerre s’achève cependant grâce à l’intervention du Conseil mais l’étrange artéfact découvert sur la colonie humaine semble être d’une importance majeure pour les Turiens. Saren, par l’intermède de Harper, apprend que l’objet en question est en réalité une balise alien inconnue qui bride l’esprit de ceux qui s’approchent trop d’elle. Elle leur confère de plus une augmentation physique impressionnante qui n’est pas sans rappeler les esclaves zombifiés des Moissonneurs. Desolas tente de faire revivre l’ancienne légende à propos de véritables Titans turiens et souhaite faire payer à l’humanité l’insulte de leur rebellion sur Shanxi. Se rendant compte que son frère n’est plus maître de lui-même, Saren fait appel à la Flotte Turienne qui, après un ultime adieu de Saren à son frère, bombarde le Temple de Palaven, dans lequel se trouve l’artéfact Il justifie son acte auprès de son frère par son sens implacable du devoir : protéger le peuple turien, peu importe le prix.
Saren jure alors de venger son frère et commence à développer une haine viscérale envers les êtres humains qu’il juge responsables de sa mort. Malgré l’apparente surprise d’Arterius concernant le fait qu’il n’ait pas été mentalement affecté par l’artéfact alien, il est clairement évident que les Moissonneurs ont déjà pénétré son esprit et vont commencer à édifier leur pièce maîtresse et la placer astucieusement dans l’échiquier de leur vaste plan d’invasion galactique. La haine de Saren envers les humains aurait-t-elle été exacerbée par les Moissonneurs afin de le manipuler plus facilement?
En 2165, Saren est depuis longtemps devenu un Spectre, agent d’élite du Conseil. Cette modification de statut lui octroie désormais bien plus de libertés qu’avant et permet, surtout, de laisser libre cours à sa froide colère. Dans le roman Mass Effect : Révélation, Drew Karpyshyn (le papa de « Mass Effect ») dresse un portrait plutôt ambigu du personnage. Alors qu’il mène son enquête sur les incidents de Sidon, une base militaire humaine secrète, il est souvent amené à utiliser des moyens radicaux pour obtenir des aveux. La torture, entre autres, est méthodiquement appliquée par Saren qui parvient, de fait, à obtenir d’excellents résultats. Ce qui frappe le plus lors de ces passages écrits avec beaucoup de détails c’est que Arterius n’envisage pas un seul instant d’agir autrement. La tournure des phrases suggère également qu’il ne prend pas spécialement du plaisir à torturer : il ne s’agit pour lui que du moyen le plus rapide d’obtenir l’information désirée. Dans la même optique, à la toute fin du roman, Saren n’hésite pas un seul instant à faire exploser une raffinerie d’élément zéro pourtant entourée de 400 civils innocents. Les seuls moments où Saren exprime une once de sentiments sont uniquement destinés à montrer tout le mépris qu’il a pour la race humaine, en particulier lorsqu’il s’adresse au jeune David Anderson. On le sent profondément affecté par les évènements du Premier Contact et la perte de son frère, en particulier lorsqu’il abat froidement un turien en train de négocier une vente d’armes avec des humains. Pour Saren, la guerre n’est pas terminée. Mais, à défaut d’être très pragmatique, est-il mauvais et xénophobe pour autant ? Il n’hésite pourtant pas un seul instant à fustiger Groto, le Butarien des Soleils Bleus qui souhaitait infliger des sévices sexuels à une jeune humaine du club privé ‘Le Sanctuaire’. « Tu comptais torturer une innocente pour faire valser ta libido… Tu n’es qu’un malade. La torture n’a de sens que si elle est légitime […] » : une phrase qui accentue davantage l’ambivalence du personnage et souligne un aspect de sa personnalité radicalement opposé à ses actes. Il prétend également agir avec discrétion car il ne souhaite pas perdre sa place de Spectre. Il attache en effet beaucoup d’importance à sa carrière et c’est sans doute le seul frein à ses pulsions meurtrières vis à vis des humains.
Il faut savoir sacrifier une vie pour en sauver des millions d’autres.
Saren
A la suite de son enquête, Saren découvre que l’humanité travaillait sur des Intelligences Artificielles et porte cette information au Conseil, ce qui a pour effet de mettre l’Alliance en difficulté sur la Citadelle. Il parvient également à empêcher Anderson d’accéder au rang de Spectre en mentant sur la nature de l’opération effectuée sur la raffinerie. Mais, la découverte la plus importante pour le Turien n’est autre que les coordonnées d’un gigantesques vaisseau muni d’une IA et assez puissant pour soumettre les Geths à sa volonté. Saren vient de découvrir comment faire payer aux Humains la mort de son frère. Cette nouvelle arme s’appelle … Sovereign.
Et si les pas du Turien avaient été dirigés par les Moissonneurs depuis 2157 pour qu’il découvre Sovereign? Et si sa haine envers les humains était, elle aussi, entretenue par les Moissonneurs afin de légitimer ses actions et ne pas éveiller de soupçons dans son esprit paralysé par la douleur de la perte de son frère ? Et si …
2183, l’année de la confrontation entre Shepard et le Spectre renégat. Saren décide d’envahir Eden Prime, une colonie humaine au sein de laquelle une balise prothéenne vient d’être extraite. Aux commandes d’une armée de Geths, grâce à Sovereign, Saren sème la terreur sur la galaxie. Son vaste plan venant de passer à la vitesse supérieure, il ne peut plus se permettre de laisser de traces derrière lui. C’est donc pour cette raison qu’il abat prestement son ancien collègue de travail : Nihlus Kryik, un Spectre du Conseil détaché pour évaluer la candidature de Shepard au poste de Spectre.
Une question, pourtant, taraude les adeptes les plus pointilleux de la saga : pourquoi Nihlus ne prête-il pas attention aux modifications technologiques présentes sur le corps de Saren ? En effet, ce dernier possède un bras cybernétique et d’étranges tubes qui sortent de son armure. Pour le plus grand plaisir des fans, Drew Karpyshyn a enfin répondu à cette question sur Twitter, du moins a-t-il essayé.
Selon lui, Saren aurait été blessé au cours d’une mission antérieure à Mass Effect et aurait donc été modifié, greffé, en quelque sorte. Il ne s’agit donc pas d’augmentations Moissonneurs, comme présentées initialement par l’Artbook The Art of Mass Effect Universe. Ces paroles, sortant de la bouche du créateur de la série ne peuvent qu’être prises au sérieux bien qu’il soit fort probable que cette justification masque une erreur de cohérence entre les designers et les scénaristes. Il en profite également pour préciser que les pouvoirs biotiques de Saren (visibles sur Virmire, lorsqu’il repousse le Commandant Shepard) ne sont pas innés. Si cela avait été le cas, Saren aurait été décrit comme biotique dans le roman Mass Effect : Révélation et le comics Mass Effect : Evolution. Ses aptitude biotiques sont donc le fruit de la technologie d’amplification Moissonneur.
De plus, Monsieur Karpyshyn répond également à une autre question, assez subtile, cette fois. La plupart des fans se demandant visiblement pourquoi Saren avait besoin des Geths pour parvenir jusqu’aux commandes d’activations du relais de la Citadelle situées dans la tour du Conseil. Drew ramène donc le statut de Spectre à celui d’agent de la CIA, à titre de comparaison. Il précise ainsi que bien que les agents secrets bénéficient de droits spéciaux, ils ne peuvent pas se présenter, l’arme à la main, dans le bureau du Président. Il en va de même pour Saren qui a besoin d’une diversion pour pénétrer sans encombre dans la tour; faute de quoi il serait abattu purement et simplement par les gardes.Cette longue course-poursuite jusque sur la planète perdue d’Ilos n’a donc pour seul but que d’attaquer par surprise la Citadelle sous le couvert d’une attaque geth. Sans la fragilité toute organique de son pantin de chair, Sovereign n’aurait pas eu à réaliser cet énorme détour jusqu’aux confins de la Travée de l’Attique et des Systèmes Terminus. Il avait cependant besoin que Saren parvienne sain et sauf jusqu’à la salle de contrôle de la Citadelle grâce à la mobilisation complète du SSC lors de son attaque aux côtés des Geths.
Toutefois, l’apparition, du Catalyseur remet fortement en cause l’utilité de Saren au sein de la Citadelle. Le Catalyseur aurait certainement été capable d’activer le relais lui-même. Une question esquivée, cette fois-ci, de manière très évasive par Drew puisqu’il n’a pas écrit le scénario de Mass Effect 3. Il se contente donc de préciser que le Catalyseur n’existait pas, dans Mass Effect 1. Des propos révélateurs qui mettent visiblement en évidence le chemin différent qu’aurait pris la série sous la plume habile de son créateur.
En conclusion, Saren est un personnage mystérieux et difficile d’accès. Perdu entre son sens du devoir, son esprit chevaleresque, son pragmatisme et sa haine des humains depuis la mort de son frère: il est la cible idéale pour Sovereign. Un puissant perdu au milieu des puissants, une faille d’un système qui se repose sur des agents au dessus des lois. Après cette analyse, Saren passe de l’image de Spectre renégat sans sentiments à celui de pauvre victime et de pantin des Moissonneurs, comme tend à le prouver la scène finale avec Shepard, lorsque le Turien prend conscience de ses actes et du contrôle des Moissonneurs sur son esprit (grâce aux options de dialogues). Lui qui avait mis de côté sa haine des humains (certainement à cause du contrôle plus puissant des Moissonneurs) et qui était persuadé de pouvoir négocier la survie de toute la galaxie grâce à sa collaboration avec Sovereign. Sa vie s’achève ainsi, sur une dernière balle tirée contre une cible qu’il n’avait jamais pris le temps d’observer : lui-même.
Saren, en définitive est l’un de ces rares personnages qui n’ont pas besoin d’en dire beaucoup pour parler et faire ressentir. Il est l’un de ces personnages du jeu vidéo dont vous parlerez encore longtemps, il est l’un de ces personnages que vous aurez aimé détester.
Saren, votre meilleur ennemi.
Abyss, pour MassEffectUniverse.fr