Par ce nouvel article hors-sujet dédié à la science-fiction, Light N7 (membre du forum) a souhaité vous partager sa passion pour le dernier film en date des frères Wachowski, à savoir Cloud Atlas. Si cette rubrique des hors sujets à pour habitude de traiter des sujets liés à la science fiction, nous pouvons admettre que nous faisons ici une légère entorse à la règle. A vrai dire, Cloud Atlas est plus exactement un film multi-genres mais malgré tout il est considéré comme un film de science-fiction étant donné que plusieurs séquences du film se déroulent dans le futur.
Cloud Atlas, la Cartographie des nuages en français, est une adaptation du roman éponyme de David Mitchell, et donc réalisée par les frères Wachowski (trilogie Matrix) et Tom Tykwer (L’Enquête). Le film se déroule sur cinq siècles à six époques différentes (1849, 1936, 1973, 2012, 2144, 2321) et met en scène des acteurs qui interprètent différents personnages au sein de ces différentes époques, c’est notamment le cas de Tom Hanks qui joue par exemple un médecin avare et esclavagiste en 1849 puis un scientifique dans les années 70.
Chacune des six histoires sont liées, des personnages, ou devrait-on dire, des âmes se retrouvent, et les actions d’une époque entraînent des répercussions dans la prochaine époque. Dans cette histoire, toute action, tout être est lié à un Tout. Au sein de cet article, nous allons donc tenter de vous démontrer la prouesse cinématographique qui a été réalisée puis nous allons nous intéresser au message philosophique émis par cette œuvre.
Notes : Si cet article évoque quelques points de l’histoire, il ne spoil en rien le dénouement de chacune des séquences du film. Enfin, comme nous l’avions précédemment évoqué lors d’un article sur les sources d’inspiration et références de Mass Effect, la dernière scène de Cloud Atlas est étonnamment similaire à la scène du « Stargazer » dans Mass Effect 3, avec le vieil homme et l’enfant. Vous pouvez revoir la vidéo en cliquant ici pour en juger !
I. La prouesse cinématographique
A sa sortie en mars 2013, le film reçut un accueil mitigé de la part d’une partie des critiques professionnelles et amateurs. D’ailleurs le box-office suivi le même chemin puisque le film peut être considéré comme un échec commercial au regard des 100 millions de dollars investis. Il n’a par exemple ramené que 400 000 spectateurs en France. Mais d’autres critiques ont au contraire reconnut que le film semblait être allé là où aucun film n’est jamais allé, pour reprendre la célèbre phrase d’une série de SF bien connue. Il est le produit de toutes les idées avancées des œuvres des trois réalisateurs, ce qui lui a permis de transcender les frontières (ce qui est justement un thème majeur du film).
Du livre, les réalisateurs se sont bien sûr inspirés grandement des intrigues mais pas de la structure narrative. Le film commence par un plan de séquence montrant un homme âgé (Tom Hanks) au coin d’un feu et qui nous explique qu’il va nous raconter une histoire. Par la suite, chaque époque est présentée chronologiquement. Puis, au bout de trente minutes, les époques s’entremêlent. Grâce à la magie du montage, d’une scène à l’autre, on peut passer sans problème d’un navire traversant l’Atlantique au 19ème siècle à Neo Seoul, ville futuriste du 22ème siècle. A chaque fois, le film joue sur des ressemblances sonores, visuelles ou d’ambiance pour que les transitions soient les plus fluides possibles.
Le montage bien ficelé nous permet après lecture approfondie du film de comprendre tous les tenants et aboutissants de l’histoire, les liens entre les différentes époques. L’enjeu du film pour les réalisateurs résidait dans la capacité de proposer des séquences avec une ambiance complètement maîtrisée et immersive. Objectif a priori inatteignable sachant que Cloud Atlas propose une multitude de genres : comédie anglaise classique, romantisme, thriller, huits-clos et science-fiction ; aucun genre délaissé au prix d’un autre et tout ça imbriquer dans un long métrage de 2h40. Deux époques se déroulent dans le futur. La première se passe en 2144 dans une ambiance grandement inspirée de Blade Runner et pré-apocalypique à Neo Seoul. La ville mélange gratte-ciels, restaurants et lieux d’habitations sans saveurs et totalement aseptisés (les décors sont des hologrammes) et de nombreux quartiers pauvres.
Quoiqu’il en soit, tout l’espace semble être devenu surpeuplé et sur-pollué (montée des eaux qui engloutira Neo Seoul un siècle plus tard). La seconde époque se passe après la Chute de notre civilisation. La Terre est irradiée, une partie des survivants, les Prescients (majoritairement des noirs) ont conservé la plupart des anciennes technologiques et l’autre partie est revenu à l’état primitif (uniquement des blancs). Les Wachowski, dans ces deux époques, nous offrent des paysages et panoramas splendides, des scènes d’actions et des effets visuels à la hauteur d’un grand film de science-fiction.
Chaque époque a une narration propre, que ce soit sous forme d’entretien ou de journal écrit : une manière d’identifier chaque époque, chaque genre rapidement et ainsi de rythmer le récit. Mais ce qui rend ce film unique réside avant tout dans ses personnages. Dans ce film, l’esprit d’une personne ne meurt pas. Au fil du temps, les âmes des différents personnages se réincarnent de corps en corps. En tout, on compte plus de quarante personnages pour une dizaine d’acteurs (un acteur pouvant joué jusqu’à six rôles différents). Leur performance est donc à souligner.
Tom Hanks a d’ailleurs déclaré à ce sujet « C’est comme faire trois saisons de répertoire sauf qu’ici, le tournage ne dure que trois mois. » On doit noter également que les acteurs ont joué des personnages qui possèdent des personnalités et qui vivent des situations différentes voir opposés. On peut ainsi voir Hugo Weaving jouer un tueur à gage sans scrupule puis la séquence d’après dans une autre époque, interpréter le rôle d’une infirmière tyrannique dans une maison de retraite. Par extension, les costumes et les maquillages jouent donc un rôle très important dans cet œuvre. Les costumes doivent tous être réalistes et en phase avec leur époque pour que les spectateurs ne soient pas perdus et retrouvent facilement des repères. Il est parfois difficile de savoir quel acteur joue quel personnage tant le maquillage modifie leur apparence, un maquillage pas toujours réussi, notamment lorsqu’il s’agit de transformer les visages occidentaux des acteurs en de pures visages asiatiques aux yeux bridés (ou l’inverse !). C’est sûrement ce qui a pu freiner une partie des cinéphiles tant certaines transformations amènent à se demander s’il s’agit encore d’humains. La fin du film et son générique permettent ensuite de mettre en évidence les rôles joués par chaque acteur, et vous prenez alors conscience du travail effectué ainsi que l’attention nécessaire lors du visionnage.
Hugh Grant raconte : « On se disait souvent au maquillage : « Qui êtes-vous ? Que jouez-vous » , « Un jour, je me suis regardée dans le miroir et pendant une seconde, je ne me suis pas reconnue. C’était la première fois de ma carrière que cela m’arrivait. » Les acteurs doivent aussi changer d’accent en fonction des rôles comme leurs personnages peuvent être de sexes, d’époques et de pays différents. Le travail le plus remarquable à ce niveau là est certainement celui concernant l’époque post-apocalyptique où les personnages ont une culture imaginaire et parlent un argot inédit. Il serait impossible de terminer cette première partie sans parler de la musique. D’une part, c’est un des thèmes du film et d’autre part, les thèmes musicaux (composés en partie par Tom Tykwer) sont très réussis et accompagnent parfaitement les différentes scènes.
II. Critique de la société
Tous les films écrit par les Wachowski proposent une critique fine de notre société. Celui-ci ne fait pas exception. Chacune des six époques proposent un regard et une analyse unique sur les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui et que nous pourrons peut-être bientôt connaître. L’intrigue de 1933 met en scène un compositeur et copiste homosexuel du nom de Robert Frobisher. Il est clair qu’à cet époque, son orientation sexuelle risque d’entraver son futur. Au début du film, on apprend que son père l’a déshérité puis plus tard qu’il vit sous la menace de voir révélé « son identité » s’il ne se plie pas à son mentor, un compositeur renommé.
« Alors, même si vous composez la plus belle symphonie que la Terre n’ait porté, il n’y aura personne pour l’entendre ». Vyvyan Ayrs
En 2012, Timonthy Cavendish, un éditeur proche de la retraite, a le choix entre retrouver l’amour de sa vie ou la sécurité physique et financière. Il optera pour la seconde option. On peut voir ici une certaine critique du paraître et de la reconnaissance de soi dans cette société qui va même jusqu’à dicter notre conscience et nos actes. Dans cette même séquence de 2012, une altercation oppose un critique littéraire et un romancier lors d’une soirée privée qui se termine par la chute du critique du haut de l’immeuble, jeté par celui qu’il avait tant critiqué et humilié. Ici, les deux parties sont critiqués : d’un côté nous avons l’écrivain qui n’écrit que pour l’argent et de l’autre le monde de la critique artistique décrit comme arrogante et « en aucun cas avisée » (peut-être une réponse aux détracteurs des Wachowski).
La partie Science-Fiction (XXIIè siècle) nous donne une vision assez pessimiste sur ce que pourrait advenir de notre planète si notre mode de vie ne change pas. Dans cette période, nous pouvons voir une population divisée en trois grandes catégories : les esclaves (aucune liberté, accomplissent les tâches les plus pénibles, nés en cuve), les dirigeants (qui dispose du pouvoir et du vrai savoir) et entre les deux, les consommateurs (ils sont désignés en tant que tel). Ces derniers se montrent stupides, vulgaires et comme dirait Lénine « imbécile mais utile ». C’est là où le système capitaliste peut se montrer vicieux : chaque classe sociale est soumise à celle d’au-dessus.
La pollution y est montrée comme un soucis majeur de cette époque. Des villes comme le vieux Séoul sont englouti par l’océan (Neo Seoul le sera également un siècle plus tard). Dans ce 1984 du futur, un nouvel ordre mondial est érigé : une seule langue officielle n’est autorisée (les autres sont considérées comme « sub-langue »), il n’existe plus que douze états, on parle d’unanimité et non d’humanité, de corpocratie au lieu de démocratie. De plus, le « progrès » scientifique fait place au transhumanisme et à l’eugénisme qui pourraient mener à une domination vis à vis des autres qui ne peuvent pas bénéficier des biens faits de la science moderne. Ce Neo Séoul nous ramène à une idéologie d’un ordre naturel, la distinction entre les enfants nés d’un incubateur et d’un utérus l’ayant institutionnalisé.
Les passages de 1849 et de 2321 traitent de la relation noir-blanc. Au 19ème, les blancs arrivent dans les îles du Pacifique et asservissent les Maoris. Les esclaves récalcitrant sont fouettés devant les autres afin d’instaurer un climat de terreur et de soumission. Plus tard, dans le navire qui retourne à San Francisco, un esclave en quête d’affranchissement et un juriste blanc, aux vies totalement différentes vont écraser les normes en vigueur, allant jusqu’à risquer leurs vies respectives, pour défendre leurs libertés.
En 2321, la situation est inversée. Les Prescients, majoritairement composés de noirs détiennent la technologie et les blancs représentent désormais un peuple primitif vivant dans un contexte relativement difficile, avec la menace de se faire attaquer par clans sanguinaires. L’ordre naturel promut dans la séquence du 19ème siècle y est donc totalement inversée mais cette fois-ci, le peuple avancé ne soumet pas les autres, même s’il subsiste chez certains « primitifs » » une peur et une certaine haine des Prescients. Elles sont incarnés par Le Vieux Georgie, personnage qui n’existe que dans la conscience de Zachry, alors interprété par Tom Hanks.
« T’es planté là, à laisser une étrangère désoser tes croyances d’vant derrière […] C’te putain a la peau café-laiteuse avec son masque tout sourire qui serpente, s’anguille au point que tu l’as confiance assez pour l’amener ici. Elle farfouine. Pourquoi elle fouille cono ? Parce qu’ils veulent notre Île. Elle est ni d’ta tribu ni d’ta couleur . C’te Jésabel méprise vos récitances et usages.. » Le vieux Georgie (présent dans l’esprit de Zachry et parlant un argo inédit))
Mais malgré ces frontières définis par l’imaginaire ou par la société, l’amour et la tolérance parviennent à prendre le dessus chez ces personnages. Les différents drames disséminés tout au long du film permettront à chacun des protagonistes de tirer une leçon et parfois d’influencer le destin de l’humanité.
III. Œuvre philosophique
Cloud Atlas est la musique composée par Robert Frobisher, dans la séquence se déroulant en 1933. Son « précepteur », Vyvyan Ayrs lui raconte que la mélodie (décrite comme hors du commun) lui a été transmise par rêve. Frobisher dira que « la musique coulait de ses yeux et soufflait par ses lèvres ». En tout état de cause, l’exercice de la composition de mélodies ne peut pas s’expliquer avec des termes rationnels. Le musicien doit transcender la réalité physique et aller au delà du travail intellectuel pour pouvoir atteindre son but.
« La musique donne une âme à nos cœurs, et des ailes à la pensée et un envol à l’imagination. ». Platon
Le sextuor Cloud Atlas traverse toutes les générations puisqu’il est audible de 1933 à 2321. Il lie tous les personnages à travers les époques. On en vient à la deuxième idée véhiculée par le film : nous sommes connectés les uns aux autres. Les six récits sont ainsi tous sur le même thème, le combat contre l’oppression. Dans ce film, chaque pensée, chaque action, aussi banale qu’elle puisse l’être à des répercussions sur l’avenir. Les six personnages ont tous une tâche de naissance ressemblant à une comète. D’une manière ou d’une autre, ces protagonistes vont changer le cours de l’histoire. Ce marqueur les unifient. Chaque personnage ayant la comète s’inspirera inconsciemment des actions du protagoniste de l’époque antérieur pour à son tour tenter d’influencer en bien son époque. De plus, ici, tous les souvenirs de tous les êtres humains semblent ancrer en chacun de nous puisque certains personnages parviennent à rêver des autres séquences et de leurs individus, ce qui leur apporte parfois ce fameux sentiment de « déjà-vu ».
Le film prend position contre toutes formes de dominations, d’ordre ou de hiérarchie : nous provenons de la même source, nous sommes unis mais nous avons chacun un parcours différent : l’unicité dans la diversité. La morale de fin pourrait donc se résumer ainsi : chaque individu a la capacité de changer le monde. Nous avons tous un potentiel inexploité; une simple action peut changer le cours de l’histoire, il faut commencer par se changer soi-même et exploiter son potentiel car même « parmi un million de bougies éteintes, une seule suffit à faire savoir que la lumière existe. »
Conclusion
Dans l’univers du jeu vidéo, les joueurs emploient souvent le terme d’OVNI pour qualifier un jeu qui parvient à se démarquer clairement des autres. OVNI, c’est aussi le terme qui qualifie idéalement Cloud Atlas dans l’univers du cinéma et de la science-fiction. Pendant près de 2h40, Cloud Atlas parvient à combiner un spectacle hollywoodien soutenu par une budget de 100 millions de dollars avec un discours philosophique. Il transcende tout simplement les frontières du temps, de l’espace et de la narration, ce qui est plutôt ironique quand on sait que la morale du film est justement l’affranchissement de toutes frontières, d’ordres, de toutes limites de genre. Ce film est révolutionnaire dans sa réalisation mais c’est au fond le leitmotiv de Cloud Atlas.
Article proposé et rédigé par Light N7, correction et mise en page par Simon N7
Et pour ceux qui voudraient aller plus loin dans la découverte du film, un petit making-of :