Ça aura prit le temps, mais voici la suite... Alerte pavé
Chapitre IV - Premiers pasSpoilerLa voix artificielle de l’IV retentit dans la chambre stérile, annonçant la fin officielle de la quarantaine médicale. Presque aussitôt, Miranda franchit le sas, le commandant la voyant ans combinaison pour la première fois depuis des semaines. Au même moment, ses narines redécouvrirent avec une pointe de plaisir une senteur différente de l’odeur de neuf des murs ou du parfum miellé, avec un soupçon de cannelle, de Tali. C’était celui plus subtil et plus floral de l’ex-Cerberus.
« Alors Shepard, comment vous sentez-vous dans cet exosquelette ?
— Un peu rouillé. J’ai l’impression de peser une tonne...
— Ce n’est pas étonnant, il va falloir encore un peu de temps pour que vos muscles finissent de récupérer mais ça va venir. »
La conversation passa rapidement sur la suite de sa prise en charge. Shepard et Tali allaient pouvoir rester au centre de soins le temps que la première phase de sa rééducation soit terminée. Le couple avait droit à une minuscule chambre au rez-de-chaussée qui leur garantirait avec un minimum d’intimité comparés aux dortoirs collectifs qui étaient la norme pour la majorité des patients et d’une partie du personnel médical.
Elle lui rappela ensuite les modalités de sa rééducation, qui allait avoir lieu au centre de soins, mais également les symptômes qu’il fallait surveiller et ceux qui étaient attendus tandis que son système immunitaire se réadapterai aux germes du quotidien. Alors que le commandant commençait à trouver les explications de la jeune femme un peu longues, Miranda le fixa dans les yeux et lui demanda :
« Nous en avons presque terminé. John, comment vous sentez-vous ? »
Quelque chose fit tiquer le commandant, peut-être le ton juste un peu trop sérieux, presque professionnel, avec lequel elle avait posé la question. Il sentit que la question n’était pas juste amicale, mais avant d’avoir le temps d’y réfléchir plus avant, il répondit instinctivement :
« Très bien Miranda, j’ai qu’une hâte : faire la rééducation et ne plus dépendre de ce truc pour me déplacer ! »
La jeune femme sembla hésiter un instant mais au soulagement de Shepard, elle n’insista pas. Esquissant un geste pour désigner le sas menant à l’extérieur de la pièce stérile, elle lui fit comprendre que le moment était venu.
Franchissant la porte, il découvrit un long couloir d’un blanc impeccable mais fade, bordé de portes, distinguant à chaque extrémité ce qui semblait une cage d’escalier avec un ascenseur. Tali les attendait juste à côté de la porte, revêtue d’une combinaison aux étoffes vert émeraude et aux motifs en écaille, plus légère, moins martiale en fait, que le modèle qu’elle avait porté durant leurs combats contre les Moissonneurs et leurs sbires. Miranda dit doucement :
« Venez, je vais vous faire visiter les parties communes et vous montrer vôtre nouvelle chambre. »
Shepard eut un instant de flottement, puis il lui emboîta le pas, accompagné par la jeune Quarienne. Avancer, même avec l’exosquelette, se révéla plus difficile qu’il ne l’aurait cru et il avait l’impression d’avoir vieilli de quelques décennies pendant son coma. Se dirigeant lentement vers l’ascenseur plus proche, au rythme un peu claudicant de Shepard, ils finirent par atteindre une fenêtre ouvrant sur l’extérieur et pour la première fois depuis des semaines il put découvrir directement l’extérieur du bâtiment.
Le centre de soins était situé sur le flanc d’une vallée entourée de hauteurs boisées. Le ciel était nuageux, sombre et brumeux, et même à travers la vitre le commandant pouvait deviner que l’air extérieur était froid et humide. Les flancs de petits monts portaient les cicatrices des combats et des vaisseaux qui s’y étaient écrasés ça et là. Shepard sentit un frisson le traverser en y distinguant même le cadavre-épave d’un croiseur moissonneur. Il lui sembla presque entendre un grondement lointain, le mugissement grave et inquiétant qu’émettaient ces monstruosité, comme si celui dont il voyait la carcasse allait s’animer brusquement.
Détournant rapidement les yeux, il reporta son attention sur ce qui entourait le centre. Juste contre celui-ci s’étendait un petit village aux rues étroites et aux maisons de vieilles pierres grises. Il qui semblait avoir été relativement épargné par les Moissonneurs, même si certains des toits d’ardoises sombres s’étaient effondrés en emportant avec eux les panneaux solaires qui les avaient couvert. Il semblait n’y avoir qu’une poignée de lumières artificielles allumées dehors mais de la fumée s’échappaient de quelques-unes des cheminés qui surmontaient les tuiles.
Tout autours, écrasant le village par sa masse et son étendue, s’étalait un gigantesque campement, où semblait s’aligner sur des centaines de mètres d’ abris préfabriqués rustiques, d’un blanc neuf encore propre, agencés pour former des allées régulières mais rendues un peu boueuses par la pluie. Il reconnut aussi ça et là d’autres préfabriqués plus sophistiqués, plutôt typiques de ceux qui étaient courants dans les colonies, certains arborant des pictogrammes médicaux, d’autres signalant la présence de sanitaires à l’intérieur. Le commandant put également voir des réfugiés aller et venir, emmitouflés dans des tenues d’hiver souvent plus ou moins rapiécées, et parfois un groupe d’enfants qui couraient ou qui jouaient au milieu des adultes.
Ailleurs, Shepard distinguait des groupes de quatre soldats qui patrouillaient posément entre les rangées d’abris, armes en bandoulières et bien en évidence. Chacun de ses groupes comptaient un duo de soldats de l’Alliance, qu’il reconnut sans mal à la couleur de leurs armures et à leurs équipements, et deux autres soldats qui étaient équipés de manière nettement plus disparate. Leurs protections corporelles étaient visiblement improvisées, bricolées à partir de pièces détachées récupérées à droite et à gauche, intégrant des matériaux parfois obsolètes comme des gilets pare-balles du siècle précédent. Les armes aussi semblaient de seconde main, le commandant aperçu même l’un deux qui portait une vieille kalachnikov, qu’il n’aurait jamais cru voir en dehors d’un musée militaire ou d’une collection. En fait, le seul élément qui unifiait ces miliciens était d’étoffe rouge nouée autours d’un de leurs bras.
« C’est ça, l’ALNRP dont vous me parliez ? demanda-t-il.
— Oui, répondit Miranda. En principe, leurs chefs insistent pour assurer seuls la protection des camps de réfugiés et des centres médicaux. Histoire de montrer qu’ils arrivent à gérer la situation. Mais même si leur présence soulage les troupes de l’Alliance, ici l’Amiral Hackett n’a rien lâché...
— À cause de moi ?
— Non, même si pour l’Alliance vous êtes le patient le plus important de ce centre. » acquiesça la jeune femme.
Shepard se détourna alors de la fenêtre et, commençant à s’habituer à son exosquelette de soutien, pénétra d’un pas un peu plus sûr dans l’ascenseur. Arrivé sans bruit au rez-de-chaussée, les portes s’ouvrirent et l’ex de Cerberus passa la première, poursuivant la visite par le grand hall desservi par l’ascenseur, pour l’instant encombré par de caisses de fournitures médicales disposées de façon à laisser un passage au personnel médical et à d’éventuels brancards. Elle expliqua à Shepard que les chambres du rez-de-chaussée servaient surtout de centre de tri pour les nouveaux arrivants et que seuls les cas graves étaient traités sur place, les autres étant réorientés vers les dispensaires du camp. Sinon l’accès du centre en lui-même, bien qu’entouré par le camp de réfugiés, était réservé aux médecins et aux personnels de santé qui y séjournaient.
En plus des chambres, on trouvait au rez-de-chaussée une assez grande salle de repos, avec accès à un terminal de communication ainsi qu’à un écran interactif connecté à l’Extranet et à une holothèque de films et de séries, et une autre pièce de même dimensions qui était dévolue aux repas. Un peu plus loin, à l’opposé de l’entrée, se trouvaient des douches collectives, un bloc pour les hommes, un bloc pour les femmes.
Finalement Miranda s’arrêta devant l’une des portes les plus éloignées de l’entrée du bâtiment, juste à côté d’une issue de secours.
« Et voilà Shepard, votre chambre à vous et Tali. »
La porte était à peine assez large pour laisser passer l’exosquelette, mais Shepard put se glisser à l’intérieur sans trop de difficulté. Deux couchettes avaient été placées côte à côte pour lui et Tali, formant un lit double un peu sommaire, tandis un support adapté pour lui permettre de retirer facilement son harnachement avait été placé juste à côté, de façon à lui permettre de l’enlever en étant allongé. Une double zone de douche avait été aménagée dans un coin de la pièce : une ouverte pour lui et une avec un caisson étanche stérile pour Tali.
« Je ne sais que nous sommes loin de vos appartements sur le Normandy..., dit Miranda avec un petit sourire.
— Ça ira parfaitement, ne vous en faites pas... » murmura Shepard.
Le commandant se laissa précautionneusement tomber sur sa couchette, grimaçant légèrement. Si l’exosquelette de soutien lui permettait d’épargner ses os et de protéger ses blessures, il ne faisait pas de miracle quant à la douleur. Tandis qu’il soufflait quelques instants, Tali demanda à leur guide improvisée :
« Et pour la rééducation ?
— Les salles dédiées sont au premier étage, vous pourrez l’accompagner si vous le souhaitez. Même si ça ne sera pas spécialement passionnant...
— C’est pas vraiment comme si j’avais autre chose à faire en ce moment... »
Alors que les deux jeunes femmes discutaient un peu de ce qui allaient attendre Shepard en rééducation, celui-ci se perdit un peu dans ses pensées. Il avait toujours cette sensation de vide en lui, désagréable et tenace... Il s’était bien senti soulagé en quittant enfin la chambre stérile, mais ce sentiment s’était vite dissipé. Trop vite. Et maintenant qu’allait-il pouvoir faire ? À part se tourner les pouces dans cette pièce entre deux séances de rééducation ?
« John ? » l’interrompit la voix de Tali.
Le commandant revint à la réalité.
« Je disais qu’avant de pouvoir vous reposer, l’Amiral Hackett voulait vous voir, reprit Miranda.
— D’accord.
— Il vous attend à bord de son vaisseau-amiral en orbite, le SSV Orizaba. Une navette est déjà là pour vous y emmener. »
Shepard hocha la tête et se releva. Il n’était pas surpris, après tout avec sa convalescence il n’avait pas eu l’occasion de faire à l’amiral le rapport détaillé qu’il attendait. Après un simple « À plus tard » pour Tali, il laissa Miranda le guider vers la zone d’atterrissage des navettes.
La porte d’accès glissa sur le côté avec fluidité et Shepard sentit l’air froid venir mordre son visage. Miranda lui désigna d’un geste la plate-forme située à peine à une dizaine de mètres et, après l’avoir salué, rentra à l’intérieur. Il y avait un léger vent et une vague odeur de feux de bois dans l’air, sans doute ceux que les réfugiés utilisaient pour se réchauffer en plus des quelques lampes thermiques distribuées par l’Alliance. Mais une pulsion, comme une sensation aigre dans la poitrine, lui fit détourner les yeux avant qu’ils n’aillent s’égarer sur les abords les plus proches du camp de réfugiés, son regard fuyant préférant se concentrer sur l’aire d’atterrissage des navettes.
La sienne était effectivement là, trois hommes l’attendant juste à côté de celle-ci. Les deux premiers étaient des soldats de l’Alliance en tenue de combat, le dernier portait son uniforme de vol. Ce ne fut qu’en approchant plus un peu qu’il reconnu le pilote :
« Steve ?!
— Commandant Shepard ! »
Les deux hommes se firent l’accolade puis le commandant prit le temps de saluer les deux soldats.
« Commandant ça fait du bien de vous voir en chair et en os ! Se réjouit le pilote de l’Alliance.
— Le plaisir est partagé Steve. C’est vous qui m’emmenez sur l’Orizaba ?
— Oui commandant. Grimpez on parlera pendant le trajet. »
Le pilote aida un peu Shepard à grimper dans la navette, celui-ci ayant du mal à appréhender l’espace supplémentaire que prenait son exosquelette de soutien dans l’habitacle du vaisseau. Se contorsionnant de manière parfois peu confortable, il parvint finalement à s’installer sur le siège du copilote, les deux soldats les accompagnant s’asseyant dans la baie de chargement.
Les mains de Steve volèrent rapidement sur la console de commandes, tirant le propulseur à ézo du Kodiak de son sommeil. Le décollage fut à peine perceptible tandis que le pilote faisait aussitôt grimper la navette vers le ciel avant de l’engager sur la trajectoire qui allait lui faire quitter l’atmosphère de la Terre, s’engageant rapidement dans la couche nuageuse épaisse.
« Je voulais encore vous dire merci pour la vidéo Steve, elle m’a fait chaud au cœur.
— Il n’y a pas de quoi commandant, on se disait que ça ne devait pas être facile tous les jours de rester enfermé dans cette pièce...
— Non en effet... » murmura le commandant.
Le Kodiak finit de transpercer les nuages et un soleil vif éclaira le bleu de l’atmosphère.
« Vous êtes pilote sur l’Orizaba maintenant ? reprit Shepard.
— Non, c’est moi qui ai fait la demande pour venir vous chercher et l’Amiral Hackett s’est dit que vous préféreriez voir une tête connue pour votre première sortie.
— Et c’était important pour vous ?
— D’être le premier pilote à avoir le privilège de vous prendre en stop ? ria Steve. Je n’aurais laissé cette place à un autre pour rien au monde ! »
Par les hublots holographiques, on pouvait distinguer le bleu de l’atmosphère s’étioler peu à peu avant de laisser la place au noir de l’espace.
« J’ai cru comprendre que vous ne chômiez pas ces derniers temps ?
— J’aurais espéré qu’on puisse prendre un peu de repos après cette guerre... Mais les évènements en ont décidé autrement, confirma Steve.
— J’ai eu accès aux infos à l’hôpital, la situation est tendue sur Terre ? demanda Shepard.
— Oui... C’est encore compliqué d’y voir clair. En fait, pendant l’occupation de la Terre, les troupes de l’Alliance ne pouvaient pas être partout et beaucoup de gens sont entrés d’eux-mêmes en résistance. Réfugiés, volontaires, vétérans, ex-militaires survivants des armées terrestres... expliqua Steve.
— Ils ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens du bord.
— Oui. Et c’est toujours le bordel en bas, entre les gens qui sont morts et ceux qui ont été endoctrinés...
— Qu’est-ce qui est arrivé aux endoctrinés ? questionna le commandant.
— La plupart était lourdement endoctrinée, plus des pantins qu’autre chose à ce que m’ont raconté des survivants. Ils sont morts ou sont devenus catatoniques lors de la mise à feu du Creuset. »
Le commandant se souvint l’espace d’un instant des membres du GSI galarien qui avaient été faits prisonniers par Saren sur Virmire. Il se rappela de ceux, le regard perdu et fou, qui s’étaient jetés sur lui et son commando dès qu’ils les avaient vu mais aussi de ceux complètement brisés, qui erraient dans leurs cellules en se cognant contre les parois, caquetant des phrases sans queue ni tête...
« C’est peut-être mieux pour eux... Plutôt que de survivre en sachant qu’ils ont été les complices de ces monstruosités... murmura Shepard.
— Peut-être oui... »
À l’extérieur, Shepard pouvait commencer à apercevoir le ballet des vaisseaux spatiaux, brillants sous les rayons du soleil, qui tractaient les derniers débris de la dernière bataille contre les Moissonneurs hors de l’orbite terrestre. Carcasses de vaisseaux de lignes moissonneurs, restes calcinées de croiseurs turiens et humains, anneaux fracassés des frégates quariennes et courbes tordues des gracieux bâtiments asari... Des dizaines de vaisseaux qui emplissaient encore l’orbite terrestre.
Mais Shepard savait que ce n’était qu’un pâle reste du champ d’épaves que la bataille avait laissé autours de la Terre. Pour limiter au maximum le risque qu’elles entrent dans l’atmosphère et s’y consument en répandant l’ezo qu’elles contenaient, la plupart d’entre elles avaient déjà été évacuées vers les points de Lagrange 4 et 5 de la Terre, là où les forces de gravitation terrestre et solaire s‘opposaient et s’équilibraient, permettant d’y maintenir naturellement les épaves tant qu’on ne pourrait pas s’en débarrasser.
« En attendant, reprit Steve, certains des mouvements de résistances cherchent à former leurs propres gouvernements, parfois sur bases des anciens états et parfois non. Et si certains coopèrent avec l’Alliance, d’autres n’hésitent pas à faire parler leurs armes ou à prendre les réfugiés en otages pour obtenir ce qu’ils veulent…
— Le meilleur côté de la nature humaine... » Commenta amèrement Shepard.
Steve fit virer le Kodiak pour poursuivre sa route en s’éloignant de la Terre. Et le commandant aperçut finalement la Citadelle, du moins ce qu’il en restait...
Les immenses fragments de ses bras avaient été un peu éloignés de la planète puis regroupés pour éviter qu’elle aussi ne s’abime sur Terre. De là où il était, Shepard pouvait distinguer les dizaines de vaisseaux geths qui s’y étaient posés, tels de monstrueux insectes, utilisant leurs champs gravitationnels combinés pour les maintenir en orbite. Au-dessus flottait la sphère fissurée du Creuset, à présent inutile. Contemplant un moment les ruines de l’ancienne capitale concilienne, Shepard en resta muet. La galaxie était en ruine, les survivants éparpillés en îlots isolés avec la destruction des Relais. Cette victoire avait été si chèrement payée…
Puis ils se rapprochèrent d’un groupe de vaisseaux en orbite, le SSV Orizaba se détachant rapidement, l’arrachant à ses pensées. Alors qu’ils entamaient leur approche finale sur le cuirassé, Shepard put apercevoir les longues trainées calcinées laissées par les armes des Moissonneurs sur les blindages des bâtiments.
« Ici la navette Kodiak AM 27-04-87-235-1 avec le Commandant Shepard à bord, demandons l’autorisation d’aborder le SSV Orizaba, annonça Steve.
— Ici SSV Orizaba, autorisation accordée, veuillez vous diriger vers le hangar 2B. »
Il ne fallut alors plus que quelques instants à la navette pour atteindre sa destination finale. Steve posa la navette sans rien dire et il y eut un instant de flottement avant que le commandant ne dise :
« Bon. L’amiral m’attend…
— Oui. Je serais aussi là pour le retour.
— Parfait. À bientôt alors… Et Steve ?
— Oui ?
— Merci pour tout. »
Son pilote lui sourit chaleureusement avant de lui taper amicalement sur l’épaule. Et Shepard entreprit de s’extraire de l’habitacle.
Lorsqu’il descendit de la navette, il fut un peu surpris par sa propre absence de réaction. Ça faisait des semaines qu’il n’attendait qu’une chose : sortir de l’hôpital, remonter sur un vaisseau de l’Alliance, sentir le métal du pont sous ses bottes. Mais là, rien. Juste un vide... Encore.
Chassant cette pensé avec une pointe d’amertume, il suivit l’officier envoyé à sa rencontre pour le conduire au bureau de l’Amiral. Certains couloirs de l’Orizaba portaient encore les marques du combat contre les Moissonneurs : panneaux d’accès aux circuits ouverts, conduits démontés, réparations visiblement temporaires, traces de soudures récentes... Après avoir emprunté un ascenseur et monté plusieurs niveaux, ils atteignirent celui de la passerelle puis arrivèrent rapidement devant la porte du bureau de Hackett. Son escorte actionna l’intercom.
« Amiral, le Commandant Shepard est là.
— Faites-le entrer. »
Un simple geste de l’officier et la porte s’ouvrit pour laisser Shepard pénétrer à l’intérieur de la pièce. Elle était plutôt spacieuse mais spartiate, seuls deux grands écrans retransmettant une vue de l’orbite brisaient la monotonie des murs. Une station de communication holographique trônait d’un côté du bureau et l’amiral avait fait installer une couchette dans un recoin de la pièce, un peu à l’abri des regards derrière un paravent. Shepard remarqua le seul élément un tant soit peu décoratif de la piève, une maquette de la station Arcturus, détruite aux premières heures de la guerre, qui était accrochée à l’un des murs.
Hackett se tenait devant un mur d’écrans, juste à côté de son bureau, qui lui rappelait en plus modeste l’installation qu’avait fait Liara dans ses quartiers du Normandy pour poursuivre son activité de Courtière. Pour le moment, il semblait absorbé dans la fin de lecture de ce qui s’affichait sur l’un d’eux. Le commandant salua, les vérins de son exosquelette chuintant faiblement dans le silence de la pièce, faisant relever la tête de l’amiral.
« Ah commandant ! Repos. Juste un instant. »
Hackett désigna la chaise en face du bureau d’un geste et Shepard s’assit. L’amiral prit le temps de terminer de lire les dernières lignes de son rapport avant de reprendre la parole.
« Bien. Commandant, content de vous voir enfin sur pied ! se réjouit-il.
— Moi de même amiral, même si je ne suis pas encore complètement opérationnel.
— L’important est que ce soit en bonne route... À ce propos, désolé de ne pas être venu vous voir en personne à l’hôpital Shepard. Disons simplement que la situation ne m’en a pas vraiment laissé le temps…
— Pas la peine de vous excuser Amiral, j’imagine sans mal que vous aviez d’autres préoccupations, le rassura-t-il.
— Malheureusement… Enfin, maintenant que vous êtes là, faites-moi votre rapport quant aux évènements sur le Citadelle et le Creuset. »
Et le commandant fit son rapport. Ce fut long et il n’oublia aucun détail. L’élan contre le Conduit de Londres, brisé par l’attaque de l’Augure, ses derniers pas difficiles vers celui-ci, abattant comme dans un rêve éveillé les ultimes zombis et maraudeurs qui se dressaient entre lui et le pilier de lumière, l’arrivée sur la Citadelle, au milieu d’un charnier nauséabond de cadavres en putréfaction, la dernière confrontation avec l’Homme Trouble alors submergé par l’endoctrinement, la mort d’Anderson, la rencontre avec le Catalyste, le choix de la solution, la mise à feu du Creuset et à la fin, l’obscurité.
Hackett ne l’interrompit que très peu, principalement pour lui demander des précisions sur tel ou tel élément. Puis il eut un moment de silence après que Shepard eut conclut son rapport, le temps que l’amiral digère toutes ces informations.
« Merci Shepard. Vous avez fait ce qu’il fallait, et ça me soulage de connaître enfin le destin d’Anderson. Comme tant d’autres, on se souviendra de lui avec fierté. Mais il va falloir attendre pour pouvoir honorer tous les héros de cette guerre.
— A cause de la situation sur Terre et ailleurs dans la galaxie ? J’ai bien eu accès à quelques infos mais…
— Mais vous sortiez du coma. Je sais commandant... le coupa doucement Hackett avant de poursuivre : Je ne vous cache pas que c’est un sacrée merdier en bas... Il y a eut des milliards de morts et les Moissonneurs n’ont épargné que le minimum vital d’infrastructures, histoire de garder la population plus ou moins sous contrôle. Mais ils se sont principalement concentré sur les villes et, paradoxalement, c’est grâce à ça que nous avons toujours assez de ressources agricoles pour espérer éviter une famine planétaire et nourrir la flotte en nous rationnant. Cependant, récupérer de toutes ces destructions prendra des années, peut-être même des décennies, même si grâce à l’aide de nos alliés nous devrions pouvoir reconstruire les infrastructures de base sur l’ensemble de la planète d’ici à la fin de l’année. À vrai dire, c’est plus la stabilité politique sur Terre qui me pose des soucis en ce moment. »
Et l’amiral commença à détailler la situation au commandant dans un long monologue. Il lui parla un peu plus du chaos dû à la destruction des gouvernements suite à la guerre et des milices parfois violentes qui tentaient de s’y substituer. Mais aussi des mercenaires dont une partie, surtout issus des Vortchas des Berserkers, avait choisi de se tailler aussi une part du gâteau, que ce soit sur Terre ou dans les autres systèmes du secteur Hélios. Si cela confirmait les craintes originelles de Shepard quant à la « loyauté » des groupes, il fut quand même soulagé d’apprendre que les autres aidaient l’Alliance à traquer leurs confrères. Ce que craignait surtout Hackett c’était que des Vortchas ne parviennent à s’implanter solidement sur Terre, déstabilisant durablement les régions où ils installeraient leurs nids.
Alors qu’il expliquait la situation au commandant, l’épuisement de l’amiral se révélait de plus en plus sur son visage et son corps. Quant à Shepard, il se laissa aller en arrière contre son siège. Son cœur battait rapidement dans sa poitrine, un stress oppressant s’emparant de son torse et de ses membres. À vrai dire, il n’avait pas été surpris que les armes continuent de parler sur Terre même après la défaite des Moissonneurs. Mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir mal en apprenant que des innocents continuaient de mourir des suites de cette guerre...
Shepard profita que l’amiral fasse une pause pour orienter la discussion sur un sujet moins anxiogène :
« La coopération entre les différentes espèces se passe bien ?
— Oui. Oui... Asari, Turiens, Quariens,... Même avec les Geths et les Rachnis. Pour être franc, il y a évidemment quelques tensions mais globalement tout se passe bien. Pour l’instant... »
Le soulagement ténu qu’avait ressenti Shepard s’envola aussitôt alors que l’amiral poursuivait :
« Mais les institutions conciliennes ne sont pas en meilleur état que celles de la Terre. Nous avons pu confirmer la mort du Conseiller Sparatus en retrouvant son corps, le Conseiller Valern est toujours porté disparu, mais autant dire que nous n’avons plus aucune chance de le retrouver en vie. Seule la Conseillère Tevos est toujours vivante, elle était en route pour les camps de réfugiées asari du Secteur Amarra au moment de l’attaque. Nous avons réussi à reprendre contact avec elle mais elle n’a pas tenu le coup, psychologiquement parlant, et elle ne peut plus assurer son rôle.
— Qu’est ce qui est prévu alors ? Il va bien falloir une solution pour maintenir l’unité de l’Espace Concilien...
— Pour l’instant nous nous débrouillons avec les représentants de chaque espèces de l’Espace Concilien, même la destruction des Relais et d’une bonne partie de nos moyens de communications ne simplifient rien. »
Puis l’amiral se lança dans un résumé succinct. Si les Turiens avaient pu être déstabilisés par la destruction des Relais et donc de leur moyen de retour vers Palaven, leur discipline habituelle avait rapidement prit le dessus. Chez les Krogans, Wrex et Grunt parvenaient à faire tenir le rang aux leurs, malgré la véhémence de certains chefs qui réclamaient de repartir pour Tuchanka. Il y avait aussi quelques tensions chez les Quariens, principalement à cause de l’Amiral Han’Gerrel qui ne perdait pas une occasion de pester contre la destruction des Relais, la séparation forcée avec Rannoch et la collaboration trop rapprochée à son gout avec les Geths. Heureusement, l’Amiral Shala’Raan parvenait à le tempérer pour le moment. Quant aux Hanari, aux Drells, aux Volus et aux Elcors, ils étaient relativement peu nombreux, et la plupart d’entre eux étaient des réfugiés évacués de la Citadelle. Les Rachnis ne faisaient pas de vagues et semblaient attendre passivement de voir comment la situation allait évoluer.
Puis Hackett lui annonça qu’en dehors des mercenaires Vortchas, ceux qui l’inquiétaient le plus étaient les Butariens et les Galariens.
« On pouvait s’attendre à ce que les Butariens nous posent problèmes... remarqua Shepard.
— Oui, c’est vrai. En fait, ils se sont divisés en deux camps : ceux qui suivent Ka’hairal Balak, principalement des militaires, et ceux qui ont choisi de se rallier au gouverneur Grothan Pazness, c’est-à-dire l’écrasante majorité des civils et des réfugiés. Le ton et la violence de leurs échanges nous fait craindre un embrasement entre les deux factions, même si Pazness tente de nous rassurer en disant que la politique butarienne est souvent... passionnée. Bref, nous gardons tout cela à l’œil.
— C’est mieux en effet... Par contre je suis un peu plus surpris que vous mentionniez les Galariens.
— Sur’kesh et l’Union Galarienne ont très peu souffert pendant la guerre commandant, détailla l’amiral. Une incursion de Cerberus, quelques attaques de Moissonneurs dans les systèmes périphériques et guère plus. Dès que la menace a été définitivement écartée, les Galariens se sont divisés sur la suite à donner aux évènements. Nos communications avec Sur’kesh sont limitées, mais il semblerait que la sphère politique galarienne soit en pleine ébullition. Dans le secteur Hélios, nous sommes assurés du soutien du GSI par le major Kirrahe, mais j’ai moins confiance sur les intentions à plus long terme de la Dalatrace.
— Elle n’a jamais accepté l’aide apportée que nous avons apporté aux Krogans pour le Génophage... Mais ses intentions sont si inquiétantes que ça ? interrogea Shepard.
— Je l’ignore. Pour le moment, elle semble surtout vouloir profiter du vide politique laissé par la guerre dans l’Espace Concilien et la destruction du Conseil pour augmenter sa propre influence. De fait, sa représentante à nos réunions fait tout pour bloquer toute implication éventuelle des Krogans, des Geths, des Quariens, ou encore sur les revendication de la Primauté Illuminée Hanari, du Protectorat Volus ou des Courts de Dekuuna pour obtenir plus d’implication dans le futur gouvernement concilien. Tandis que ces derniers font tout pour que le système de gouvernance change, et vu les erreurs et les hésitations du Conseil lors de la guerre, difficile de leur donner tort. Un sacré merdier en vérité... Nous ne savons pas encore sur quoi vont déboucher les négociations sur ce futur gouvernement mais si elles devaient échouer, je ne pense pas que l’Espace Concilien s’en remettrait... »
Il y eut un moment de silence. Shepard saisissait bien la gravité de la situation, mais il était incapable de trouver quoi dire. Il se sentait submergé par toutes ces informations, perdu en réalité. Pendant des mois, des années, il avait tout donné et dédié sa vie à la protection de la galaxie contre la menace des Moissonneurs, et malgré la victoire finale, la galaxie semblait toujours au bord du gouffre. Il s’affaissa un peu plus sur son siège.
Posant son regard sur le visage de Hackett, il vit quel point ses yeux étaient creusés et ses cernes profondes. L’Amiral était épuisé et Shepard n’avait pas de mal à comprendre pourquoi... Il sentait au fond de lui qu’il devait dire quelque chose, pour lui redonner confiance, mais rien ne venait. Son inspiration et sa fougue, qui lui avaient permis de déplacer des montagnes pendant son combat contre les Moissonneurs, lui manquaient maintenant. Tous les doutes et toutes les craintes qu’il avait ressenti depuis son réveil, au fur et à mesure que les ruines de la guerre s’étaient révélés à lui, lui revenaient en pleine figure.
Après de longues secondes, il se força à se lancer, masquant du mieux qu’il le pouvait sa propre incertitude :
« Non... Non amiral, nous allons réussir ! Nous n’avons pas traversé l’enfer de cette guerre pour laisser tomber maintenant. Et je vous promet de tout donner pour que nous y parvenions ! »
Ses propres mots avaient sonné faux et creux à Shepard. Mais Hackett ne sembla pas relever et, le dévisageant à son tour pendant un moment, il finit par répondre :
« Merci Shepard... Je bien avouer que c’est un lourd fardeau à porter, même si nous ne sommes pas seuls... Cependant, l’Espace Concilien n’aura pas d’avenir tant que nous ne trouvons pas de solution au problème des Relais. »
Le commandant hocha faiblement la tête. L’effort qu’il avait fourni pour dire ces quelques mots avaient été le pire de tous depuis qu’il avait repris conscience et semblait l’avoir vidé du peu d’énergie qu’il lui restait. Hackett reprit la parole :
« Nous avons toujours les scientifiques et les ingénieurs du Creuset. Ils se sont mises au travail dessus dès que nous repris un minimum le contrôle de la Terre. Nous sommes même parvenus à récupérer dans les ruines du Présidium une partie des études qui avaient été faites sur le relais prothéen d’Ilos et les archives de Mars ont miraculeusement réchappées à la guerre en dehors des dégâts liés à l’opération de Cerberus. Mais la tâche s’annonce nettement plus ardu que pour la fabrication du Creuset.
— Trop...? demanda Shepard d’une petite voix.
— Nous verrons bien... Nos scientifiques préfèrent ne pas trop s’avancer, ils ont besoin de temps, sans compter qu’après le projet Creuset, il n’y a guère que les Geths et les Rachnis qui n’accusent pas le coup de la fatigue. Et le Creuset était d’une conception relativement simple, alors que les Relais en comparaison... c’est un Everest de technologie. Je n’ose imaginer le temps qu’il a fallut à la fine fleur des scientifiques Prothéens pour parvenir à en développer une réplique miniature sur Ilos.
— Quel est le plan alors ? dit le commandant d’une voix qu’il sentait flancher de plus en plus.
— Nous accrocher à l’espoir de parvenir à réparer les relais, trancha Hackett après un seconde de silence. Et vous, pour l’instant, vous allez prendre le temps de finir de guérir de vos blessures. Suivant le déroulement de votre convalescence, je vous demanderais sans doute d’aller visiter des camps de réfugiés avec votre équipe. Comme je vous disais, la situation reste compliquée sur Terre, et voir le principal héros de la Guerre de la Moisson accompagné de son équipage aidera le moral des gens à tenir le temps que des jours meilleurs arrivent. »
Shepard hocha la tête sans rien dire. L’oppression qui avait commencé à l’écraser au cours de cette discussion semblait s’être changée en un tremblement, comme si une part de lui-même était sur le point de s’effondrer. Il sentait qu’il n’allait pas résister bien longtemps et il y avait urgence à ce que cette conversation s’achève. Heureusement, l’Amiral le délivra rapidement :
« Bon, je ne vais pas vous retenir plus longtemps commandant, nous aurons l’occasion de reparler plus tard. Rompez et bonne convalescence. »
Shepard se leva en tremblant légèrement, salua et tourna les talons. Arrivé dans le couloir, et se voyant seul, il attendit que la porte se soit refermée derrière lui pour s’appuyer contre une cloison, prenant sa tête entre ses mains pour tenter de repousser cette vague qui menaçait de finir de le briser...